Introduction
Prenant prétexte d’un propos dont les deux substantifs : « l’humain » et « la machine » sont très polysémiques, j’ai pris plaisir, dans cet article, puisqu’il m’en était donné l’occasion (et j’espère que le lecteur prendrai plaisir à le lire) de présenter les débuts de cette nouvelle science interdisciplinaire qu’est la neuropsychanalyse (depuis le premier congrès de la NPSA en 2000 jusqu’à nos jours). On verra quelle est la centralité de l’affect dans le fonctionnement de nos esprits, pour la survie même des mammifères (que nous sommes), en lien avec la motricité, pour assurer l’homéostasie de l’organisme. C’est à un niveau supérieur du fonctionnement cérébral que le lien se fait avec la mémoire et les représentations chez l’être humain, alors qu’un soi primitif est déjà présent, archaïque, au niveau du tronc cérébral et du système limbique. Tout cela commence à être de mieux en mieux compris, et l’on remet même en question la vision corticocentrée de Freud, pour qui la conscience était située au niveau du cortex. On verra pourquoi, les affects jouant un rôle essentiel, la conscience leur serait liée, et ceux-ci étant déterminés par le système limbique, le cortex ne nouerait à l’opposé, principalement, qu’un rôle inhibiteur, de contrôle par rapport au monde extérieur, en association avec les perceptions. Je termine avec une présentation succincte des travaux récents sur la mémoire : la reconsolidation de la mémoire, importante pour comprendre ce qui se passe dans les traumatismes, l’oubli, le refoulement, le retour du refoulé, découvertes dont on commence à voir les applications possibles pour la psychothérapie et la psychanalyse.
« Notre époque montre une fascination et une crainte des machines de tous ordres. Au plus simple les robots et l’intelligence artificielle, c’est une question de progrès et de devenir. Assez proches les sciences et les modes d’exploration qui dynamisent les recherches. Dans notre domaine le cerveau, l’esprit et le corps et ses réflexions d’aujourd’hui… » : Voici le thème pour lequel on a sollicité ma collaboration à ce numéro, vu mon intérêt de longue date pour les liens entre le cerveau et l’esprit.
Mais je viens de voir, en recopiant les premières lignes du « propos » que m’a envoyé Yves Manela, que j’ai de moi-même corrigé « intelligence augmentée » par « intelligence artificielle (IA) », pensant à un lapsus calami de sa part. Peut-être ai-je tort ? Car la suite de son propos évoque d’autres choses plus effrayantes les unes que les autres, qui menacent, ou en tout cas nous font peur en ce début de XXIème siècle, et qui concernent l’écologie, les masses, les guerres, et j’ajouterais, le transhumanisme, toutes situations où la MACHINE a une grande place. Nous sommes bien peu de choses, face à cette machine effrayante. « Doit-on devenir partenaire des sciences ‘dures’, face à un tel danger ? » Alors, le cerveau serait-il une machine qu’il faudrait s’apprivoiser ? Les neuroscientifiques des docteurs Folamour qu’il vaudrait mieux avoir de son côté ? Jean Gillibert parlait d’une mélancolie du monde, de sa quête idéale et de sa destructivité impressionnante. Je ne me souviens pas de ces paroles, quoiqu’il fût en son temps un de mes maîtres à penser ; j’ai assisté à un grand nombre de ses séminaires et l’ai beaucoup admiré. Ces paroles résonnent avec certaines idées de Freud : « Les pulsions de vie ont d’autant plus affaire à notre perception interne qu’elles se présentent comme des perturbateurs et apportent sans discontinuer des tensions dont la liquidation est ressentie comme plaisir ; les pulsions de mort en revanche paraissent accomplir leur travail sans qu’on s’en aperçoive. Le principe de plaisir semble être en fait au service des pulsions de mort. Certes il veille sur les excitations externes qui sont tenues pour dangereuses par les deux sortes de pulsions, mais il veille tout particulièrement sur les accroissements d’excitation provenant de l’intérieur qui viendraient rendre plus difficile la tâche vitale » (1920). Ce n’est pas une vision très optimiste.
Faut-il pour autant rattacher à la pulsion de mort les progrès de l’IA, et tout ce que celle-ci laisse entrevoir dans l’avenir, comme les robots assistants des hommes, les prothèses médicales, les voitures sans chauffeur, etc. ? Ce ne sont que des visions fantaisistes qui imaginent des scénarios catastrophes. Les robots sont la création de l’homme, et raisonnent avec les algorithmes qui ont été placés en eux. Les robots n’ont pas de conscience de soi, faculté pour longtemps encore réservée à l’homme (même si certains travaillent dur pour dépasser cet obstacle quasi-infranchissable). Ce qui me ramène à mon sujet proprement dit : le cerveau humain, qui n’est absolument pas une machine ! C’est l’organe le plus compliqué du corps humain, certes, très admiré par les spécialistes de l’IA, puisqu’il ont adopté l’expression « réseaux de neurones » pour leurs machines !
Même si le cerveau a toujours éveillé mon intérêt, de par ma formation scientifique et médicale de départ, et aussi à cause d’un accident de parcours médical qui m’a amenée à être opérée justement d’une tumeur située tout près de la zone de Broca, spécialisée pour le langage, dans l’hémisphère gauche (j’ai eu quelques sueurs froides, mais je m’en suis bien sortie, mais cela a néanmoins modifié tout mon parcours de vie), ma formation ensuite en psychanalyse m’a plutôt éloignée de tout intérêt scientifique direct pour ce domaine.
J’ai eu mon premier choc, si je puis dire – une sorte de révélation -, que l’on pouvait parler de science et de psychanalyse ensemble sans être montré du doigt, au premier congrès de la Société internationale de neuropsychanalyse, qui s’est tenu à Londres en 2000, et dont le thème était l’émotion. Si Mark Solms est celui qui a fondé cette société, l’intervenant principal à ce congrès, qui présentait ses recherches sur les émotions dans le cerveau de mammifère, était Jaak Panksepp. Il est peu connu en France mais il mériterait de l’être. Vu l’importance de l’affect dans le comportement humain, et étant donné la manière dont Jaak Panksepp a intégré plus tard dans sa théorisation des concepts venus de la psychanalyse, comme les processus primaire et secondaire, et même tertiaire, vu aussi l’influence qu’il a eue sur de nombreux autres chercheurs, avec ses travaux sur les émotions de base, comme par exemple Damasio, je pense que se familiariser avec le système émotionnel de Jaak Panksepp peut être important pour les cliniciens, ainsi que pour toute personne intéressée.
C’est grâce à l’observation des cerveaux des mammifères que Jaak Panksepp a fini par définir sept émotions primaires, qui ont toutes leur origine dans le système limbique, sous-cortical, et qui se projettent ensuite vers le cortex pour donner naissance à des émotions plus complexes qui se lient à des représentations et deviennent conscientes. Il s’agit donc ici d’émotions brutes, mais qui sont néanmoins liées à l’action.
A. LES AFFECTS SONT DES EXPÉRIENCES PRIMAIRES
1. Le système de RECHERCHE (SEEKING system), se caractérise par une exploration de l’environnement et une curiosité persistante. Il engendre une énergie qui pousse à la locomotion : à l’approche et à l’engagement avec le monde extérieur, avec des lieux intéressants, des objets et des événements, selon des modes qui sont caractéristiques de l’espèce en cause. Ce système a une place spéciale parmi les autres systèmes émotionnels, parce que dans une certaine mesure il joue un rôle dynamique, de soutien pour toutes les autres émotions. Quand il est au service des émotions positives, le système de RECHERCHE donne lieu au sentiment de poursuivre un but, qui s’accompagne de sentiments d’intérêt, pouvant aller jusqu’à l’euphorie. Par exemple, quand une mère ressent le besoin de nourrir son petit, le système de RECHERCHE va la motiver pour rechercher de la nourriture et un abri afin de fournir ces soins. Le système de RECHERCHE joue aussi un rôle dans des émotions négatives, par exemple, en fournissant une partie de l’élan qui pousse un animal effrayé à se mettre hors de danger. Nous supposons que l’énergie psychologique positive tend aussi à contrecarrer des sentiments négatifs, comme ceux qui surviennent pendant la fuite aPEURée et pendant l’agitation initiale de la TRISTESSE/PANIQUE. Pour cette raison, les animaux peuvent trouver que la fuite est en partie une activité positive, puisqu’elle est dans l’ensemble la voie la plus directe, bien que limitée, vers la survie. Comme tous les systèmes émotionnels de base, celui-ci fonctionne avec un neuromédiateur principal, qui est la dopamine.
2. Le système de la RAGE fonctionne en opposition au système de la RECHERCHE et pousse les animaux à projeter leur corps vers des objets offensants. Ils mordent, grattent et frappent avec leurs extrémités. La RAGE est fondamentalement un affect négatif, mais il peut devenir positif quand il interagit avec des schémas cognitifs, comme par exemple l’expérience de la victoire sur ses adversaires, ou l’imposition de sa volonté personnelle sur d’autres que l’on est capable de contrôler ou de soumettre. La RAGE pure ne comporte pas de telles composantes cognitives, mais dans le cerveau de mammifère qui comporte de nombreuses couches, ces dernières sont certainement présentes. Plusieurs molécules sont responsables de la rage, dans diverses circonstances : la testostérone, la substance P, la noradrénaline, le glutamate, l’acétylcholine.
3. Le système de la PEUR génère aussi un état affectif négatif, dont toutes les personnes et tous les animaux souhaitent s’échapper. Il génère une tension dans le corps et une immobilité tremblotante à des niveaux moins élevés d’alerte, qui peuvent s’intensifier et éclater en un schéma de fuite dynamique. Les neuromédiateurs activant la peur sont principalement le CRF (corticotrophin releasing factor) et les catécholamines.
4. Quand les animaux sont en proie au système du DÉSIR, ils présentent une abondance d’activités de « courtage » et finissent par s’approcher d’un ou une partenaire afin de joindre leurs corps, ce qui culmine typiquement en un plaisir orgasmique : il s’agit de l’une des expériences affectives les plus dramatiques et positives que la vie peut offrir. En l’absence de partenaire, les organismes sexuellement excités éprouvent une tension de manque qui peut devenir positive (peut-être à cause du déclenchement concurrent du système de RECHERCHE, quand la satisfaction est sur le point d’arriver). La tension de ce manque peut servir de facteur de stress affectivement négatif quand la satisfaction échappe. Le DÉSIR est l’une des sources de l’amour. L’ocytocine est le neuromédiateur du désir et joue un rôle majeur dans les rapports sociaux positifs.
5. Quand les humains et les animaux sont stimulés par le système du SOIN, ils ont l’impulsion d’envelopper ceux qu’ils aiment de douces caresses et de prestations tendres. Sans ce système, prendre soin des petits serait un fardeau. Mais au lieu de cela, le nourrissage peut être une grande récompense : c’est un état affectif positif, détendu, qui est très apprécié. Le SOIN est une autre source de l’amour. Là aussi, l’ocytocine joue un rôle majeur, mais n’est pas le seul neuromédiateur en cause, les opioïdes endogènes jouent un rôle aussi, ainsi que d’autres molécules.
6. Si l’on est envahi par le système de la PANIQUE/TRISTESSE (souvent aussi appelé « angoisse de séparation »), on éprouve une blessure psychique profonde : une expérience psychologique interne de douleur qui n’a pas de cause physique évidente. Comportementalement, ce système, surtout chez les jeunes mammifères, se caractérise par des pleurs insistants et des tentatives pressantes de retrouver son donneur de soins, habituellement la mère. Si la réunification n’a pas lieu, le bébé ou le jeune enfant va progressivement commencer à présenter des postures corporelles de tristesse et de désespoir, qui reflètent la cascade cérébrale allant de la panique à une dépression persistante. Le système de la PANIQUE/TRISTESSE aide à faciliter les liens sociaux positifs (une manifestation secondaire de ce système) parce que les liens sociaux soulagent cette douleur mentale et la remplacent par un sentiment de confort et d’appartenance (des sentiments remplis de SOIN). Pour cette raison, les enfants apprécient et aiment les adultes qui prennent soin d’eux. Quand les personnes et les animaux aiment les liens sécures affectueux, ils présentent un sentiment détendu de contentement. Les fluctuations de ces sentiments sont une autre source de l’amour. Les opioïdes endogènes jouent un rôle majeur dans ce système.
7. Le système du JEU s’exprime dans la légèreté bondissante et sautillante du mouvement, où les participants se pincent et se bousculent l’un l’autre souvent rapidement dans des mouvements alternants. Parfois, le JEU peut donner l’apparence de l’agression, surtout quand le JEU ressemble à de la boxe. Mais une observation plus précise de ce comportement révèle que les mouvements du JEU de bagarre sont différents de ceux de toute forme d’agression adulte. De plus, les participants prennent plaisir à cette activité. Quand les enfants ou les animaux jouent, ils alternent habituellement de rôle, et celui qui était dominant devient celui qui est soumis… Le JEU est l’une des sources principales de l’amitié. Les molécules favorisant le jeu sont principalement les opioïdes endogènes, la dopamine, les cannabinoïdes endogènes.
B. LES AFFECTS ET L’EVOLUTION
Quand nous pensons à l’évolution, nous nous référons habituellement à la manière dont les animaux ont changé physiquement et se sont développés au cours des âges. Mais quand nous parlons des affects, nous pensons habituellement à l’esprit, dont on croit généralement qu’il s’agit d’une entité non physique, ce qui n’a pas de sens. L’esprit implique simplement que certains états cérébraux s’accompagnent de sentiments subjectifs, et ceux-ci remplissent une certaine fonction adaptative, telle que fournir des « intentions en acte », fondement pour des comportements volitionnels plus haut situés, à savoir, des « intentions d’agir ». Ainsi, si nous comprenons que les affects sont des fonctions du cerveau physique, cela a du sens de parler des affects en processus primaire, en tant que phénomènes évolutionnistes. Leurs ressemblances au travers de si nombreuses espèces indiquent que les capacités affectives sont des fonctions archaïques du cerveau. Comme beaucoup de développements évolutionnistes adaptatifs, les systèmes cérébraux qui soutiennent les capacités affectives ayant biologiquement réussi ont été conservés à mesure que les animaux ont évolué. D’autres développements évolutionnistes semblables qui ont été conservés comprennent la réplication de l’ADN, des fonctions métaboliques comme la digestion et la respiration, et la production cellulaire de l’énergie. Si l’on comprend comment le cycle de Krebs fonctionne chez un animal, on a une bonne compréhension de son fonctionnement chez tous les animaux.
La logique de l’évolution suggère que les capacités affectives ont été conservées quand différentes espèces ont émergé par le fait de la sélection naturelle, parce que ces fonctions cérébrales fournissaient des manières efficaces pour vivre et se reproduire. Ces fonctions cérébrales ont procuré des avantages sélectifs en ce qu’elles anticipaient efficacement des besoins de survie futurs et universels. Les animaux qui possédaient ces capacités survivaient et se reproduisaient avec beaucoup de succès. Les affects, de ce point de vue, sont des mécanismes neuropsychologiques anticipateurs innés du cerveau. Il suffit simplement de penser à quel point la douleur est utile pour la survie.
Par exemple, si un rat est habitué à se nourrir dans un coin particulier d’un champ, et si un furet prend résidence dans les environs, le rat va sentir le furet même si le furet est absent. L’odeur de ce prédateur éveille inconditionnellement le système de la PEUR chez le rat. Cet éveil déclenche des affects de peur, qui provoquent des sentiments désagréables. Le rat évite l’odeur du furet afin d’éviter de se sentir effrayé. Pour éviter ce sentiment de peur, le rat va trouver un autre endroit pour se nourrir. Ainsi, les affects permettent aux animaux d’anticiper des événements. Mais il faut noter que cette anticipation n’est pas une fonction cognitive. C’est une réaction affective spontanée, qui conduit à des mécanismes d’apprentissage inconscients d’engagement, et qui permettent à l’animal d’éviter le sentiment de peur.
Bien que le comportement du rat puisse suggérer qu’il est conscient de l’endroit où le furet se trouve, ce n’est pas nécessairement le cas. La PEUR seule est un moyen fiable pour anticiper des événements futurs, même si les capacités cognitives modestes du rat sont incapables de conceptualiser des idées sur l’avenir (ce qui est clairement un aspect tertiaire du CerveauEsprit). Des affects défensifs tels que ceux produits par le système de la PEUR protègent la survie de l’individu, alors que l’affect de dévotion du SOIN protège la survie des autres (en particulier ceux qui portent une part des gènes de l’individu SOIgnant). Le DÉSIR, de même, protège la survie de l’espèce. Le point notable est que les capacités affectives innées guident le comportement animal de manière à favoriser la survie, ici et maintenant, et à travers les générations.
Alors que les systèmes affectifs sont profondément enfouis dans le cerveau sous-cortical, la cognition, quant à elle, émerge à partir du néocortex, qui est la couche la plus externe et la plus récente du cerveau sur le plan évolutionniste. Ceci indique que la capacité pour l’expérience affective a évolué bien longtemps avant les capacités cognitives complexes qui permettent aux animaux de se débrouiller dans des situations environnementales complexes. Il faut aussi remarquer que la localisation évolutionniste plus profonde des systèmes affectifs dans le cerveau les rend moins vulnérables aux lésions, ce qui peut aussi éclairer le fait que ce sont des fonctions de survie plus anciennes que ne le sont les systèmes cognitifs.
Alors que les systèmes affectifs sont profondément enfouis dans le cerveau sous-cortical, la cognition, quant à elle, émerge à partir du néocortex, qui est la couche la plus externe et la plus récente du cerveau sur la plan évolutionniste. Ceci indique que la capacité pour l’expérience affective a évolué bien longtemps avant les capacités cognitives complexes qui permettent aux animaux de se débrouiller dans des situations environnementales complexes. Il faut aussi remarquer que la localisation évolutionniste plus profonde des systèmes affectifs dans le cerveau les rend moins vulnérables aux lésions, ce qui peut aussi éclairer le fait que ce sont des fonctions de survie plus anciennes que ne le sont les systèmes cognitifs.
Nous avons dit que les affects sont des expériences en processus primaire parce que ce sont des éléments mentaux non alliés à d’autres, primaires, et qui n’ont pas leur pareil. Mais on peut aussi être justifié de dire que les affects sont les formes initiales de la conscience : les affects ont peut-être été les premières sources de l’expérience ressentie ayant jamais évolué dans le cerveau. Mais ils existent néanmoins sous forme de plusieurs variétés : émotionnels, homéostatiques et sensoriels. Les affects bruts sont peut-être la source primordiale de la conscience anoétique : l’expérience en processus primaire sans compréhension.
Pour résumer, les sortes de couches que nous envisageons dans l’évolution du CerveauEsprit nous poussent à nous centrer d’abord sur les niveaux les plus anciens et à utiliser cette connaissance pour clarifier les processus secondaires, où les fonctions émotionnelles primaires sont intégrées aux perceptions, ce qui permet l’apprentissage conditionné. Par exemple, un rat qui commence à craindre le son de la clochette d’un chat utilise un processus émotionnel secondaire, comme le sont les stratégies cognitives rudimentaires. C’est aussi ce que fait un rat qui apprend à courir vers son abri protégé quand il entend la clochette du chat. Cela fournit aux animaux une connaissance factuelle du monde : une conscience primitive noétique ou une forme avec connaissance consciente. Mais est-ce que les rats pensent à cette conscience ? Sont-ils « conscients » qu’ils éprouvent quelque chose ? Nous ne le savons pas. Et personne n’a proposé une manière pour résoudre ce dilemme.
Nous nous référons au niveau tertiaire de traitement des fonctions émotionnelles supérieures quand les deux premiers niveaux de l’esprit commencent à générer des capacités cognitives plus complexes, comme la planification nécessaire pour un week-end à la campagne ou pour planifier nos prochains projets professionnels. Le traitement tertiaire permet la réflexion intelligente sur le monde et sur soi-même, en considérant à la fois des cadres passés et futurs, au sein de la conscience autonoétique. Ce niveau d’activité mentale est remarquablement difficile à étudier chez les animaux. Le niveau tertiaire est fortement lié aux fonctions du cortex frontal et au cortex pariétal : les régions les plus récemment évoluées du néocortex et qui existent en surabondance chez les êtres humains et chez peu d’autres créatures au cerveau bien développé.
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Types de conscience
AFFECTIVE COGNITIVE
. Plus sous-corticale . Plus néocorticale
. Moins informatisée . Plus informatisée
. Plus analogique . Plus digitale
. Intentions en action . Intentions à agir
. De l’acte à la perception . De la perception à l’acte
. Codes neuromodulateurs . Codes neurotransmetteurs
(Neuropeptides) (Glutamate, etc.)
Un but essentiel de la psychothérapie est de promouvoir le contrôle cognitif des processus affectifs.
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Tableau 1. Un résumé des principales différences entre les systèmes cérébraux qui médiatisent les processus affectifs et cognitifs dans le cerveau. Dans l’ensemble, le système affectif contrôle les états globaux du cerveau, alors que les cognitions traitent l’information entrante provenant des organes des sens externes.
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Niveaux de contrôle dans le cerveau émotionnel-affectif
1. Processus primaire, affects primordiaux-fondamentaux (sous-néocorticaux)
I. Affects émotionnels (systèmes d’actions émotions : Intentions en actions)
II. Affects homéostatiques (Intérocepteurs du corps-cerveau : faim, soif, etc.)
III. Affects sensoriels (sentiments extéroceptifs-sensoriels agréables et désagréables,
de dégoût, déclenchés)
2. Emotions en processus secondaire (apprentissage dans les ganglions de la base)
I. Le conditionnement classique (par ex., la PEUR dans les ganglions baso-latéraux
et l’amygdale centrale.
II. Le conditionnement instrumental et opérant (la RECHERCHE dans le noyau
accumbens)
III. Les habitudes comportementales et émotionnelles (le striatum dorsal, en grande
partie inconscient)
3. Affects tertiaires et fonctions de la « conscience » néocorticale
I. Fonctions cognitives exécutrices : Pensées et planification (cortex frontal)
II. Ruminations et régulations émotionnelles (régions frontales médianes)
III. « Libre arbitre » (fonctions supérieures de la mémoire de travail – Intention
à-agir)
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Tableau 2. Un résumé des niveaux globaux de contrôle à l’intérieur du cerveau.
C. Vers une neurobiologie de l’âme : le noyau du Soi et la genèse des sentiments en processus primaire
La question est de savoir comment des systèmes neuronaux s’y prennent pour produire des expériences affectives subjectives. Nous avons déjà fourni des preuves que les sentiments en processus primaire émergent fondamentalement des mêmes circuits sous-corticaux qui génèrent des actes émotionnels cohérents. En d’autres termes, quel que soit l’endroit où l’on évoque des actes émotionnels cohérents par une stimulation cérébrale sous-corticale, ces états du CerveauEsprit servent de « récompenses » et de « punitions » dans le contrôle de l’apprentissage. Il se peut que la nature primale de l’expérience ne puisse être clarifiée sans des visions « incarnées » réalistes de ce que cela veut dire d’avoir un « noyau du SOI », ce qu’avec un peu de licence poétique, on pourrait même désigner comme notre « âme » animale. Là encore, nous écrivons cette fonction cérébrale en lettres capitales parce qu’elle est conçue comme un processus primaire de l’esprit : une « simple forme de vie (SOI), un centre de gravité cohérent pour les représentations internes viscérales-affectives et sensori-motrices externes.
I. Perspectives neuro-évolutionnistes sur le SOI : de l’expérience à la conscience
Les questions que nous considérons ici sont si complexes et si difficiles à comprendre qu’il peut nous incomber de considérer à nouveau quelques questions déjà envisagées, mais à partir d’une trajectoire conceptuelle légèrement différente. Certainement d’un point de vue philosophique, il est difficile de penser à la conscience sans postuler un soi comme étant l’entité qui contextualise les expériences. D’un point de vue neurophysiologique, nous devons envisager comment la cohérence fondamentale des organismes : leur présence unifiée ressentie intérieurement dans le monde, est créée par les systèmes anciens sous-corticaux de la ligne médiane du cerveau. Quelles raisons évolutionnistes avons-nous pour argumenter l’existence d’un SOI à l’intérieur de ces complexités neuronales anciennes ? C’est la question que nous allons explorer.
Cela a un sens évolutionniste d’entretenir le concept d’un noyau du SOI si l’on considère simplement la différence fondamentale entre les organismes vivants et non vivants. Les choses vivantes ont des fonctions métaboliques qui les maintiennent en vie en tant qu’entités discrètes. Par exemple, elles utilisent des réserves d’énergie et elles éliminent des déchets. Les choses non vivantes n’ont pas de fonctions métaboliques. Elles sont cohérentes en tant qu’unités à cause de leurs compositions chimiques. Elles n’ont aucun processus biochimique clair et distinct pour les soutenir activement en tant qu’entités individuelles. Ainsi, à un niveau corporel, le métabolisme distingue les choses vivantes des choses non vivantes. A un niveau cérébral, une motilité générée de manière endogène (une activité corporelle spontanée) et, chez les animaux supérieurs, la capacité de prédire des événements futurs distinguent les choses vivantes des non vivantes. La capacité fondamentale pour le métabolisme et la motilité, quoiqu’initialement inconsciente, fournit la fondation essentielle pour l’émergence et l’évolution de la conscience.
Nous, avec d’autres collègues neuroscientifiques (Damasio, 2010), imaginons que tôt dans l’évolution du cerveau, une carte neuronale primordiale du corps a émergé afin de faciliter la cohérence globale de nombreuses fonctions différentes, depuis les tendances à l’action jusqu’aux changements autonomiques qui accompagnent les actes (Northoff et Panksepp, 2008 ; Panksepp, 1998b). Avec Damasio (1999), nous appelons cette carte corporelle un « proto-soi » primitif, qui a évolué avec l’émergence des systèmes émotionnels et motivationnels en processus primaire, en un organe de l’esprit plus complexe, le noyau du SOI. Nous postulons que ce type d’organisation cérébrale intègre les expériences primaires comme les affects sensoriels, homéostatiques et émotionnels. Mais ce n’est pas encore ce qui est communément entendu par le terme « conscience ».
Pour que le noyau de la conscience ait un sens, nous devons aussi envisager comment les niveaux plus élevés de l’esprit ont émergé dans l’évolution à partir des formes plus fondamentales. Ainsi, nous devons faire une distinction entre des formes phénoménales primitives de conscience, qui fournissent la capacité d’une expérience pure, sans encore avoir la capacité de réfléchir sur cette expérience (c’est-à-dire, avoir une conscience de soi, définie comme la capacité de s’éprouver comme un acteur agissant sur le théâtre du monde). C’est une affaire assez difficile, beaucoup plus compliquée que la simple capacité de s’éprouver dans le monde.
Nous supposons que la conscience phénoménale grossière se présente sous forme de deux saveurs. Il y a d’abord la capacité d’éprouver les divers affects positifs et négatifs : les diverses formes de « bons » et de « mauvais ». Deuxièmement, il y a la capacité d’avoir des perceptions sensorielles du monde et d’éprouver celles-ci (comme le « film dans la tête »), ce qui est le fondement de la conscience cognitive. Il est facile de prétendre que nous ne savons pas vraiment laquelle est la plus ancienne dans l’évolution du cerveau, ni comment ces deux types d’expériences phénoménales sont couplés. Mais si nous devions faire un choix, nous proposerions que les formes affectives de l’expérience subjective sont antérieures aux formes cognitives dans l’évolution du CerveauEsprit, car elles sont élaborées dans des régions plus médianes et plus caudales, et par conséquent des régions plus anciennes du cerveau. Un exemple remarquable est la localisation de la substance grise périaqueducale (PAG), connue aussi sous le nom de « noyau gris central », au centre même du mésencéphale. Au contraire, les fonctions sensorielles-perceptives discrètes sont situées plus latéralement, ce qui suggère une origine plus récente.
Est-ce que les expériences phénoménales affectives et sensorielles étaient initialement intimement liées au cours de l’évolution précoce du CerveauEsprit, ou étaient-elles deux formes fondamentalement différentes dès le départ de conscience primordiale du cerveau? Nous ne le savons pas. Mais de nouvelles perspectives théoriques pourraient être façonnées à partir de la supposition que l’expérience de la vue et de l’ouïe consciente était initialement en grande partie affective (Panksepp, 1998b). L’immédiateté avec laquelle des stimuli visuels ou auditifs soudains peuvent nous étonner et nous effrayer, surtout quand de tels stimuli ont pris leur origine très près de notre corps, suggère une intégration primaire profonde de ces systèmes sensoriels avec certains de nos mécanismes de survie affectifs les plus essentiels. Si l’on considère aussi comment nous sommes enclins à associer des couleurs particulières à des sentiments : le rouge aux excitations passionnées, le jaune au bonheur, le bleu à des états tranquilles ou détendus, les verts et les marrons à l’amour de la terre vivante, le noir à la mort. De même, considérons avec quelle facilité le son soulève nos sentiments émotionnels, depuis le ton de la voix d’un ami, le chant des oiseaux dans la nature, jusqu’au miracle de la musique créée par l’homme (Malloch et Trevarthen, 2009 ; Panksepp et Trevarthen, 2009). La dynamique de la musique semble avoir un accès direct aux structures affectives du noyau de notre conscience (Blood et Zatorre, 2001).
La régulation cognitive supérieure de l’émotionnalité n’est pas une fonction terriblement raffinée du cerveau ; c’est en fait grâce à l’éducation émotionnelle et à l’intelligence sociale qui en résulte qu’elle finit par émerger (Goleman, 2006 ; Keltner, 2009). La psychothérapie émotionnellement sensible est donc d’une grande aide pour « grandir ». Mais il existe aussi des dispositions évoluées pour une régulation cérébrale descendante, plus élevée, de l’intensité affective. Le néocortex peut intrinsèquement inhiber l’émotionnalité en processus primaire, tendant à la maintenir dans le domaine « sub-conscient », jusqu’à ce qu’elle soit nécessaire pour traiter des situations vitales majeures. Mais on s’aperçoit que dans les psychopathologies de tels contrôles régulateurs échouent souvent, et les individus sont noyés sous des affects qu’ils ne peuvent plus contrôler. Une grande partie de la psychothérapie consiste à promouvoir la régulation cognitive de ces sentiments émotionnels.
Mais plutôt que de poursuivre la voie tracée par Panksepp, qui finit par démontrer comment il arrive à situer le SOI, je vais maintenant me tourner vers Mark Solms, qui reprend cette recherche plus simplement, et qui fait le lien avec la psychanalyse et la topique freudienne. Ce qui est intéressant, c’est que Panksepp, un neuroscientifique, qui comme rarement parmi ses pairs, a fait sienne la terminologie freudienne (les processus primaire, secondaire, tertiaire), considérait l’affect comme inconscient : « Puisque tellement de recherches ont été consacrées au système de la PEUR, nous allons faire une pause pour résumer certains des mécanismes d’apprentissage cérébraux (en processus secondaire). En particulier, nous montrerons que le conditionnement, que certaines personnes considèrent comme une fonction cognitive, n’est rien de la sorte. C’est une réponse cérébrale automatique qui ne requiert aucune participation cérébrale néocorticale pour réussir. Et contrairement aux niveaux en processus primaire de l’esprit, ce niveau d’intégration du CerveauEsprit semble être profondément inconscient, mais nous fournit un fondement pour la conscience noétique. »
Mais c’est lors du congrès de neuropsychanalyse de Berlin, en 2002, que Mark Solms, ayant repris les travaux de Panksepp et grand admirateur de ses recherches, a eu une sorte d’illumination : pour lui, les affects ne pouvaient pas être inconscients, mais étaient nécessairement conscients. Panksepp en était en fait convaincu aussi et ensemble, ils ont publié un article dans Brain Sciences qui a fait grand bruit, et c’est sur cette base que Mark Solms se juge fondé de modifier la métapsychologie freudienne.
II Le « ça conscient » et la révision de la métapsychologie freudienne par Mark Solms
Deux aspects de l’organisme sont représentés dans le cerveau, et ils le sont de manière différente. La différence la plus importante est que les régions cérébrales en rapport avec ces deux aspects de l’organisme sont associées à des aspects nettement différents de la conscience. Pour le dire de manière très générale, les mécanismes du tronc cérébral dérivés du corps autonome sont associés à la conscience affective, alors que les mécanismes corticaux dérivés du corps sensori-moteur sont associés à la conscience cognitive. En outre, la partie supérieure du tronc cérébral est intrinsèquement consciente, alors que le cortex ne l’est pas ; celui-ci dérive sa conscience du tronc cérébral. Ces faits ont des implications importantes pour la métapsychologie psychanalytique parce que la partie supérieure du trop cérébral (et les structures limbiques associées) accomplit des fonctions que Freud a attribuées au ça, alors que le cortex (et les structures préfrontales associées) accomplit les fonctions qu’il a attribuées au moi. Cela signifie que le ça est la source de la conscience et que le moi est en fait l’inconscient lui-même. La base pour ces conclusions et pour certaines de leurs implications sont discutées ici d’une manière préliminaire.
1. Représentations neuro-anatomiques de l’organisme
Lors du 12ème Congrès international de neuropsychanalyse, qui a eu lieu à Berlin en 2011, et dont le thème était « Minding the Body » (« mind », veut dire « esprit », bien sûr, mais avec un jeu de mots, car « minding » veut aussi dire « faire à attention à », « s’occuper de »), une lumière nouvelle a été jetée sur des questions d’un intérêt fondamental en ce qui concerne notre domaine. Bud Craig, Antonio Damasio, Vittorio Gallese, Jaak Panksepp et Manos Tsakiris, parmi d’autres, ont résumé l’état actuel des connaissances sur l’incarnation (embodiment)en neuropsychologie humaine (à savoir, comment le corps est représenté dans le cerveau). Les orateurs ont fait référence à deux aspects différents du corps, sans toujours les distinguer. Ceci peut conduire à une certaine confusion.
Le premier aspect du corps est neuro-anatomiquement représenté dans des cartes somato-topiques sur la surface corticale, qui sont des projections des récepteurs sensoriels qui se trouvent à la surface du corps, et qui sont relayés par des voies neuronales ayant leurs spécificités modales, soit thalamiques, soit par les nerfs crâniens. Cet aspect de la représentation corporelle est ce qu’on appelle conventionnellement l’homoncule cortical. Il ne coïncide pas avec le cortex somato-sensoriel; il comprend les zones projectives de toutes les modalités sensorielles, qui consistent en cartes équivalentes des organes récepteurs sensoriels.
L’ « image corporelle » surgit non pas dans mais, plutôt, à partir de ces cartes corticales unimodales. Ce premier aspect de la représentation corporelle devrait donc être comparé aux réseaux processuels qui s’étendent au-delà des zones de projections, et qui convergent dans le cortex associatif hétéromodal. Nous pourrions appeler cet aspect de la représentation corporelle le corps externe.
Il est important de noter que les mécanismes cortico-thalamiques qui représentent le corps externe représentent aussi des objets extérieurs : par les mêmes modalités perceptives, sous la même forme. Le corps extérieur est représenté en tant qu’objet. C’est la forme du soi que l’on perçoit lorsqu’on regarde vers l’extérieur, quand on se regarde dans un miroir, par exemple. (« Cette chose, c’est moi ; c’est mon corps. »). D’autres corps sont représentés de manière semblable.
Le deuxième aspect du corps est son milieu intérieur, c’est le corps autonome. Cet aspect du corps est à peine représenté sur la surface corticale. Il est représenté à un niveau beaucoup plus profond et beaucoup plus bas du cerveau. Les structures qui représentent cet aspect du corps entourent l’hypothalamus, mais elles comprennent aussi les organes péri-ventriculaires, le noyau parabrachial, l’area postrema, le noyau solitaire et des structures apparentées (voir Damasio, 2010). Analogues à ce qui a été dit plus haut sur le cortex moteur en relation à l’extéroception, ces structures intéroceptives, non seulement dirigent, mais régulent l’état de l’organisme (l’homéostasie). Nous pourrions appeler cet aspect de la représentation corporelle le corps interne.
Même au niveau du tronc cérébral, les structures neuronales pour la représentation du corps interne sont entourées par celles pour le corps externe, de la même manière que le corps sensori-moteur lui-même enveloppe les viscères.
Le corps interne fonctionne en grande partie de manière automatique, mais il stimule aussi le corps externe pour l’amener à servir ses besoins vitaux dans le monde extérieur. Ceci se réalise grâce à un réseau de structures d’ « éveil » situées dans la partie supérieure du tronc cérébral, dans le diencéphale et le cerveau antérieur basal, structures connues de manière conventionnelle – mais quelque peu erronée – sous le nom de système d’activation réticulo-thalamique étendu (ERTAS). Ce système d’éveil comprend de nombreux sous-systèmes axonaux allongés qui libèrent des neurotransmetteurs uniques tels que l’acétylcholine, la noradrénaline, la dopamine, la sérotonine et l’histamine, ainsi que toute une variété de neuropeptides (pour une recension, voir Panksepp, 1998a ; Pfaff, 2006).
Il est important de noter qu’il existe une relation hiérarchique entre ces deux aspects de représentations corporelles. Bien que le courant d’information (et donc, de contrôle), se dirige à la fois « de bas en haut » et « de haut en bas », l’intégrité fonctionnelle du cortex (le corps externe) dépend de l’activation du tronc cérébral (le corps interne). Cette relation hiérarchique implique la conscience. Le système d’éveil associé au corps interne génère un aspect différent de conscience que celle qui est associée à la perception externe et, de plus, l’aspect interne est une condition préalable à l’aspect externe. Quand la conscience endogène est oblitérée, la conscience extéroceptive est oblitérée aussi ; cependant, l’inverse n’est pas vrai.
Le type interne de conscience consiste en états plutôt qu’en objets de conscience (cf. Mesulam, 2000). Le corps interne n’est pas un objet de perception, à moins qu’il ne soit externalisé et présenté aux organes sensoriels classiques ; c’est le sujet de la perception. C’est l’état de fond du fait d’être conscient. Ceci est d’une importance capitale. On peut se figurer cet aspect de la conscience comme la page sur laquelle les perceptions extérieures s’inscrivent. La relation entre les deux aspects de la conscience – les objets et le sujet de la perception – est aussi ce qui relie ensemble les composantes de la perception ; les objets sont toujours perçus par un sujet qui vit une expérience.
Il a récemment été reconnu que l’état du corps-en-tant-que-sujet implique non seulement divers niveaux de conscience (par ex., dormir/marcher), mais aussi diverses qualités de conscience (Damasio, 2010 ; Panksepp, 1998a). L’aspect interne de la conscience « donne un sentiment qui ressemble à » quelque chose. Par-dessus tout, les états phénoménaux du corps-en-tant-que-sujet sont éprouvés affectivement. Les affects n’émanent pas des modalités sensorielles externes. Ce sont des états du sujet. On pense que ces états représentent la valeur biologique des conditions internes changeantes (par ex., la faim, l’excitation sexuelle). Quand les conditions internes favorisent la survie et la réussite reproductive, on se sent « bien »; dans le cas contraire, on se sent « mal ». C’est évidemment à quoi servent les états de conscience. Les sentiments conscients disent au sujet où il en est, s’il va bien ou mal. A ce niveau du cerveau, par conséquent, la conscience est étroitement liée à l’homéostasie.
On pourrait donc, d’après ce qui précède, décrire l’affect comme une modalité sensorielle intéroceptive – mais l’affect ne se résume pas à cela. L’affect est une propriété intrinsèque du cerveau. Cette propriété s’exprime dans les émotions, et les émotions sont, avant tout, des formes péremptoires de décharge motrice. Ceci reflète le fait que les conditions internes changeantes mentionnées plus haut sont étroitement liées aux conditions externes, elles-mêmes changeantes. Ceci s’explique d’abord par le fait que les besoins vitaux (représentés comme des déviations par rapport à des points précis homéostatiques) ne peuvent être satisfaits que par des interactions avec le monde extérieur. Deuxièmement, certains changements dans les conditions externes ont des conséquences prévisibles pour la survie et la réussite reproductive. Par conséquent, les affects, bien qu’ils soient subjectifs par définition, sont typiquement dirigés vers les objets : « Je me sens comme ceci à propos de cela » (cf. le concept philosophique de l’intentionnalité).
La caractéristique de la conscience affective est fournie par la série plaisir-déplaisir, dont l’expression motrice est le comportement d’approche-retrait. Les sentiments de plaisir-déplaisir, et les actions péremptoires associées, sont facilement générés en stimulant une région de l’ERTAS connue sous le nom de substance grise périaqueducale (PAG).
2. Représentations métapsychologiques du corps
Ayant passé en revue les deux manières dont le corps est représenté dans le cerveau, il est facile de reconnaître les équivalents neurologiques des deux systèmes psychiques principaux que Sigmund Freud a distingués dans sa métapsychologie. Le corps externe correspond au « moi », le corps interne au « ça »
Freud lui-même l’a dit. A propos de l’origine corporelle du « moi ». Il a écrit ceci :
Le moi est avant tout un moi corporel, il n’est pas seulement un être de surface, mais il est lui-même la projection d’une surface. Si l’on cherche une analogie anatomique, le mieux est de l’identifier avec l’homoncule cérébral des anatomistes, qui se trouve dans le cortex cérébral, la tête en bas et les pieds en haut, regardant vers l’arrière et, on le sait, portant à gauche la zone du langage (1923, [17], p. 238).
Il poursuit ainsi :
Le moi est dérivé en fin de compte des sensations corporelles, de celles qui prennent naissance surtout à partir de la surface du corps. On peut donc le considérer comme une projection mentale de la surface du corps, en outre, comme nous l’avons vu plus haut, il représente les superficies de l’appareil psychique.
Toute la fabrique du moi dérive de ce moi corporel, à savoir, des traces mnésiques de perceptions externes, dont l’activation associative donne naissance à toute la cognition (voir les chapitres 6-9).
Concernant l’origine corporelle du « ça », Freud a écrit :
Le ça, coupé du monde extérieur, a son propre univers de perception. Il ressent avec une extraordinaire acuité certaines modifications à l’intérieur de lui-même, en particulier les variations de tensions de ses pulsions, variations qui deviennent conscientes en tant qu’impressions de la série plaisir-déplaisir. Certes, il est malaisé de déterminer par quelles voies et à l’aide de quels organes sensoriels terminaux ces perceptions se produisent, mais une chose semble certaine : les auto-perceptions – impressions cénesthésiques et impressions de plaisir-déplaisir – régissent despotiquement le cours des phénomènes à l’intérieur du ça. Le ça obéit à l’inexorable principe de plaisir » (1940, [26], p. 73).
Il est ainsi évident que Freud lui-même a localisé sans problème les dérivations corporelles du moi et du ça. Sa conception de l’appareil mental a toujours été incarnée, à savoir qu’elle était rivée au corps, à ses extrémités perceptuelle/motrice et « pulsionnelle ». Ici, je n’ai fait qu’ajouter des détails anatomiques. J’ai aussi précisé que les ‘instincts’ comportent plus que des perceptions intéroceptives ; ce sont des stéréotypes émotionnels innés. Mais Freud a effectivement reconnu la nature pulsionnelle de ce qu’on appelle maintenant les émotions de base :
Or, qu’est-ce qu’un affect au point de vue dynamique ? Quelque chose de très compliqué. L’état affectif comprend d’abord certaines innervations ou décharges, et ensuite certaines sensations directes de plaisir et de déplaisir qui impriment à l’état affectif ce qu’on appelle le ton fondamental. Je ne crois cependant pas qu’avec cette énumération, on ait épuisé tout ce qui peut être dit sur la nature de l’état affectif. Dans certains états affectifs, on croit pouvoir remonter au-delà de ces éléments et reconnaître que le noyau autour duquel se cristallise tout l’ensemble est constitué par la répétition d’un certain événement important et significatif, vécu par le sujet. Cet événement peut n’être qu’une impression très reculée, d’un caractère très général, impression faisant partie de la préhistoire, non de l’individu, mais de l’espèce (Freud, 1916-1917, [28], p. 373).
Malgré la tendance de Freud de décrire les associations phylogénétiques comme si on s’en souvenait littéralement, il a reconnu – comme l’a fait plus tard Panksepp (1998a) – que les émotions de base sont des organisations mentales innées. (Ceci s’oppose à la théorie de James-Lange : James, 1890 ; Lange, 1885).
En résumé, il est facile de reconnaître une équivalence fonctionnelle entre les mécanismes cérébraux pour le corps externe et le moi corporel de Freud, d’un côté, et entre les mécanismes pour le corps interne et les instincts du ça de Freud, de l’autre. Ceci s’applique aussi à la relation hiérarchique interdépendante qui existe entre les deux : il ne peut pas y avoir de conscience corticale sans une conscience du tronc cérébral ; il ne peut pas y avoir de moi sans un ça.
3. L’erreur corticocentrique
Ce parallélisme étroit révèle une contradiction frappante entre les concepts actuels des neurosciences de l’affect et ceux de Freud.
Pour exposer pleinement cette contradiction, je dois signaler que Freud n’a jamais remis en question une hypothèse classique des neuroanatomistes du dix-neuvième siècle, à savoir, que la conscience était une fonction corticale. Il est clair que même l’aspect affectif de la conscience était, pour Freud, « placé à la surface du cerveau ». Ici, il le dit de manière encore plus explicite :
La prise de conscience dépend avant tout des perceptions reçues de l’extérieur par nos organes sensoriels. Au point de vue topique, ce phénomène se passe donc dans la couche corticale la plus externe du moi. Certes, certaines informations conscientes nous viennent aussi de l’intérieur du corps, les sentiments, qui exercent même, sur notre vie psychique, une influence bien plus impérieuse que les perceptions externes. Enfin, en diverses circonstances, les organes sensoriels fournissent, en plus de leurs perceptions spécifiques, des sentiments, des sensations douloureuses. Mais ces sensations, comme nous les appelons pour les distinguer des perceptions conscientes, émanent aussi des organes terminaux. Or, nous considérons ces derniers comme des prolongements, des ramifications de la couche corticale, ce qui nous permet de maintenir le point de vue exposé plus haut. Il suffit de dire que, pour les organes terminaux, récepteurs des sensations et des sentiments, c’est le corps lui-même qui remplace le monde extérieur (Freud, 1940, [26], p. 24-25).
En faisant cette hypothèse, Freud suivait une longue tradition, qui se poursuit jusqu’à nos jours, même parmi certains neuroscientifiques cognitivistes et comportementaux éminents. Prenez par exemple la remarque suivante qu’a faite Joseph LeDoux :
Quand des stimuli électriques appliqués à l’amygdale chez l’homme provoquent des sentiments de peur (voir Gloor, 1992), ce n’est pas parce que l’amygdale « ressent » de la peur, mais au contraire parce que les réseaux que l’amygdale active, fournissent en dernier ressort des inputs à la mémoire de travail qui sont étiquetés comme de la peur. Tout ceci est compatible avec la notion freudienne que l’émotion consciente est la prise de conscience de quelque chose qui est fondamentalement inconscient [LeDoux, 1999, p. 46].
Comme nous allons le voir plus loin, cette vision est nettement contredite par toutes les données dont nous disposons actuellement.
4. La conscience sans cortex
Des recherches récentes montrent sans équivoque que la vision corticocentrique de la conscience (en tant que siège du soi sensible) est fausse. Dans les modèles animaux, on a montré depuis longtemps que le fait de retirer le cortex n’avait aucun effet sur les équivalents comportementaux de la conscience, comme le sommeil et la veille, et les actions instinctives-émotionnelles. En effet, non seulement les effets sous-corticaux de récompense provoqués par les stimulations cérébrales sont préservés de manière démontrable chez les animaux décortiqués, mais ils sont en fait favorisés, sans doute à cause du relâchement de l’inhibition corticale de « haut en bas » de la conscience émotionnelle (Huston et Borbely, 1974).
La preuve la plus frappante qui est apparue ces dernières années dans la recherche clinique, en rapport avec cette question plus large, concerne une maladie appelée hydrocéphalie, au cours de laquelle le cortex cérébral est détruit in utero (généralement à cause d’un infarctus de toute la circulation cérébrale antérieure). Le cortex est absorbé et remplacé par du liquide cérébrospinal. Les études d’autopsie révèlent que des îlots de cortex, qui peuvent être préservés dans de tels cas, sont fonctionnellement déconnectés du thalamus à cause de la destruction de la matière blanche qui les relie entre eux. Les fragments de cortex qui survivent sont aussi de type glial, et donc complètement non fonctionnels. Ceci est confirmé par l’observation clinique selon laquelle, bien que le cortex visuel soit préservé, ces patients sont aveugles (Merker, 2007).
Ils sont aveugles (etc.), mais ils ne sont pas inconscients. Ces enfants ont des cycles veille/sommeil normaux. Ils souffrent aussi de crises d’absence épileptiques, au cours desquelles les parents n’ont aucune difficulté à reconnaître les pertes de conscience, ni quand l’enfant « revient » à lui. Ces enfants sont non seulement conscients selon les critères comportementaux standards, mais ils présentent aussi des réactions émotionnelles vives.
Ils présentent aussi un apprentissage émotionnel de base :
[Ils] prennent des initiatives comportementales dans la limite des restrictions de leurs handicaps moteurs sévères, sous la forme de comportements instrumentaux, comme par exemple, faire du bruit en donnant des coups de pied dans des colifichets suspendus dans un cadre spécial construit à cet effet, ou en activant des jouets favoris en appuyant sur des boutons, en se basant probablement sur un apprentissage associatif du lien entre les actions et leurs effets. De tels comportements sont accompagnés de signes de plaisir et d’excitation appropriés à la situation de la part de l’enfant [p. 79].
Il est triste de dire que de ce point de vue, Freud semble avoir ouvert la voie à un amalgame entre la conscience et le contrôle cortical, reléguant ainsi prématurément les processus instinctifs non contrôlés à la catégorie « inconsciente ». Il est maintenant clair que les processus instinctifs sont conscients en eux-mêmes.
5. Toute la conscience est endogène
L’état de conscience dans son ensemble est engendré dans la partie supérieure du tronc cérébral. Nous le savons depuis de nombreuses années. Dix ans seulement après la mort de Freud, Moruzzi et Magoun (1949) ont les premiers démontré que la conscience, telle qu’elle est mesurée par l’activation à l’EEG, est générée dans la partie supérieure du tronc cérébral alors appelée le « système réticulaire activateur ». Une destruction totale des structures extéroceptives n’avait aucun impact sur les propriétés intrinsèques générant la conscience au niveau du tronc cérébral (par ex., dormir/marcher). Les conclusions de Moruzzi et Magoun (chez le chat) ont rapidement été confirmées (chez l’homme) par Penfield et Jasper (1954), qui ont reconnu dans les crises épileptiques d’absence (mentionnées plus haut) « une occasion unique pour étudier le substratum neuronal de la conscience » (p. 480). Leurs études approfondies les ont conduits à la conclusion selon laquelle les oblitérations paroxysmiques de la conscience ne pouvaient être déclenchées de manière fiable qu’au niveau d’un site situé en haut du tronc cérébral (qu’ils ont appelé le « système centre-encéphalique »). Ils ont aussi été impressionnés par le fait que l’ablation de grandes parties du cortex humain sous anesthésie locale, voire une hémisphérectomie totale, n’avaient que des effets limités sur la conscience. Le retrait du cortex n’interrompait pas la présence du soi sensible, n’enlevait pas le fait d’être conscient ; cela ne faisait que priver le patient de « certaines formes d’informations » (Merker, 2007, p. 65). Par contre, des lésions dans la partie supérieure du tronc cérébral détruisaient totalement et rapidement la conscience, exactement comme le faisaient les crises épileptiques induites. Ces observations démontrent un point d’une importance fondamentale : toute la conscience dérive en fin de compte de sources prenant naissance dans la partie supérieure du tronc cérébral. En contradiction frappante avec l’hypothèse corticocentrique, les variétés corticales de conscience dépendent en fait de l’intégrité des structures sous-corticales, et non le contraire.
6. Les solides psychiques
En quoi le cortex contribue-t-il alors à la conscience ? La réponse à cette question va jeter une nouvelle lumière sur le statut métapsychologique du moi. Il est clair d’après les faits qui viennent d’être passés en revue que la conscience attachée au traitement de l’information extéroceptive n’est pas intrinsèque au cortex, mais dérive plutôt de sources situées dans le tronc cérébral. Le cortex sans le tronc cérébral ne peut jamais être conscient. Le traitement des perceptions, par conséquent, n’a pas besoin de la conscience, comme cela est amplement démontré par les vastes capacités de l’ « inconscient cognitif » (pour une recension, voir Kihlstrom, 1996).
En outre, une grande partie de ce que nous avons cru, traditionnellement, être « inné » dans le traitement cortical, est en fait appris. Ceci a été bien démontré par la recherche de Mriganka Sur, qui montre, par exemple, que le fait de rediriger l’input visuel du cortex occipital vers le cortex auditif (chez des blaireaux) conduit à une réorganisation de ce tissu, ce qui lui permet de supporter une vision qui devient complètement fonctionnelle (pour une recension, voir Sur et Rubinstein, 2005). La perception corticale, par conséquent, pas moins que la cognition corticale, est enracinée dans des processus mnésiques. En effet, autant que nous le sachions, toutes les spécialisations fonctionnelles corticales sont acquises. Les colonnes du cortex sont initialement presque identiques dans leur architecture neuronale, et les célèbres différences entre les aires de Brodmann sont probablement la conséquence de la plasticité liée à l’usage (suivant les schémas innés de la connectivité sous-corticale). Les colonnes corticales ressemblent aux puces de mémoire d’accès aléatoire (RAM) des ordinateurs digitaux.
La réponse à notre question : « En quoi le cortex contribue-t-il à la conscience ? », alors, est celle-ci : il contribue par un espace de mémoire représentationnelle. Ceci permet au cortex de stabiliser les objets de la perception, ce qui à son tour crée un potentiel pour un traitement précis et synchronisé des images perceptives. Cette contribution dérive de la capacité sans égale du cortex pour les formes de mémoire représentationnelle (dans toutes leurs diversités, à la fois à court et à long terme).En se fondant sur cette capacité, le cortex transforme les états changeants et éphémères, ondulatoires, de l’activation du tronc cérébral, en « solides psychiques ». Il génère des objets. Freud les a appelés des « présentations d’objet » (qui, curieusement, prédominent dans ce qu’il a appelé le « système inconscient »).
De telles représentations stables, une fois établies grâce à l’apprentissage, peuvent être activées à la fois de manière externe et interne, générant ainsi des objets non seulement pour la perception, mais aussi pour la cognition (la perception implique la reconnaissance). Pour être clair : les représentations corticales sont inconscientes en elles-mêmes ; cependant, quand la conscience est étendue jusqu’à elles (par l’ « attention »), elles sont transformées en quelque chose qui est à la fois conscient et stable, quelque chose qui peut être pensé dans la mémoire de travail. (Ce n’est pas par hasard que nous décrivons la conscience de l’expérience quotidienne comme une mémoire de travail.) L’activation, par les mécanismes du tronc cérébral qui génèrent la conscience, des représentations corticales, transforme ainsi la conscience d’affects en objets. Mais cette transformation n’est jamais complète : les représentations conscientes ne peuvent être éprouvées que par un sujet, et la mémoire de travail contient typiquement des éléments à la fois de la conscience cognitive et de la conscience affective. Il est étonnant que les théoriciens cognitivistes ignorent tout simplement l’affect.
Mais pourquoi faudrait-il que la « mémoire de travail » soit consciente ? J’ai déjà expliqué pourquoi n’importe quelle forme de représentation perceptive est infiltrée de conscience : celle-ci donne une valence aux représentations (« Je me sens comme ceci à propos de cela »). Bien que cette formulation dérive de la conception de Damasio, du Sentiment même de soi (1999), elle évoque aussi la notion antérieure de Freud (1895), selon laquelle le cerveau antérieur est un « ganglion sympathique », c’est-à-dire que l’apprentissage perceptif n’existe que parce qu’il sert des besoins vitaux (de survie et reproductifs). L’apprentissage comporte l’établissement d’associations entre des pulsions intéroceptives et des représentations extéroceptives, guidées par les sentiments générés dans de telles rencontres. Ceci permet au sujet de sentir son chemin à travers des situations nouvelles. La présence « affective » du sujet nécessite qu’il le fasse.
Si de telles rencontres sont amenées à déboucher sur des réactions plus développées que des réactions instinctives stéréotypées, elles nécessitent aussi la pensée. Et la pensée entraîne nécessairement un délai. Cette fonction (de délai) s’enracine avant tout dans la stabilité des représentations corticales, qui leur permettent d’être « gardées à l’esprit ». Le prototype, dans la métapsychologie de Freud, en était les « investissements de désir », qui impliquent une représentation de l’objet désiré, utilisée pour guider le comportement en cours. Mais en première topique, un tel comportement volitionnel est régulé directement par l’instinct (par le « principe de plaisir » de Freud, et par le mode de cognition en « processus primaire » qui l’accompagne). Les motivations pulsionnelles sont initialement sans objet (cf. le concept de la RECHERCHE de Panksepp ; Wright et Panksepp, 2012), mais l’apprentissage attentif conduit rapidement à des objets de désir remémorés qui se présentent à l’esprit (cf. le concept de « wanting », [vouloir] de Berridge, 1996). En d’autres termes, des objets ayant une valence biologique (désirés, craints, etc.) d’expériences passées sont rendus conscients du fait de leur « saillance motivationnelle » (déterminée en fin de compte par leur signification biologique sur la lignée plaisir-déplaisir : la base même de la conscience). De cette manière, si le principe de plaisir pouvait fonctionner sans aucune contrainte, il produirait ce que Freud a nommé des satisfactions hallucinatoires de désir (le prototype de la cognition en processus primaire). Il est important de noter que la pensée consciente, en elle-même, n’implique pas par conséquent nécessairement ce que Freud a appelé la cognition en « processus secondaire ». La satisfaction hallucinatoire du désir – le prototype selon Freud de la pensée en « processus primaire » – est une forme consciente de pensée, malgré sa forme très primitive.
Il en résulte, par conséquent, la pression évolutionniste et développementale pour contraindre la saillance motivationnelle dans la perception au moyen d’un codage de la prédiction des erreurs (c’est le « principe de réalité » de Freud), qui place des contraintes sur la décharge motrice. Un tel codage d’erreurs doit être régulé à un niveau inférieur par la fonction homéostatique de la conscience affective, qui détermine la valeur biologique de tous les objets qui se présentent à l’attention (cf. le « principe de constance » de Freud). L’inhibition qui en résulte – qui par force survient à l’extrémité motrice (frontale) de l’appareil, là où les sorties doivent être séquencées au cours du temps – nécessite une tolérance à la frustration des émotions. Cette frustration, qui donne naissance à une pensée rafraîchie, et ainsi à un nouvel apprentissage, assure une satisfaction biologique plus efficace sur le long cours. (On trouve ici le concept de « liaison » de Freud).
Le séquençage au cours du temps, qui nécessite le fait de penser à l’avance (c.-à-d., une action virtuelle, ou la programmation d’une action) définit l’essence de la fonction exécutrice de la « mémoire de travail », au sens où nous la théorisons généralement aujourd’hui. Freud aurait appelé cette fonction exécutrice : pensée en « processus secondaire » (qu’il a aussi conceptualisée comme « action expérimentale »). Mais la pensée en processus secondaire implique aussi d’autres aspects du fonctionnement cortical que nous n’avons pas encore tout à fait considérés.
Voilà donc quelle est la fonction essentielle du cortex. Il génère des « solides psychiques » stables, représentationnels qui, quand ils sont activés (ou « investis ») par la conscience affective, permettent au ça de s’imaginer lui-même dans le monde et de penser. Mais les solides psychiques menacent aussi d’effacer tout le reste de la vue, même dans la cognition en processus primaire. Ce qui nous fait penser à la cave de Platon.
7. Les mots et les choses
Avant que nous puissions quitter le thème du cortex, je dois souligner que la pensée en processus secondaire comprend des caractéristiques importantes qui sont restées implicites dans les chapitres précédents, surtout en ce qui concerne la réponse différée. Ces caractéristiques peuvent être attribuées à autre chose qu’à la capacité représentationnelle et inhibitrice seule.
Les présentations d’objet désirées qui, littéralement, « viennent à l’esprit » dans la pensée en processus primaire (hallucinatoire) sont, selon Freud, re-représentées à un niveau plus élevé en pensée en processus secondaire. Il a appelé ce niveau de représentation la « présentation de mot ». Freud pensait que les mots tenaient leur valeur de ce que, comme toutes les présentations cognitives, ils dérivaient de la perception (dans ce cas, principalement de l’audition) et qu’ils étaient donc doués de conscience. C’est l’essentiel du rôle que les mots jouent dans la « cure de parole ». Mais puisque les mots ont la capacité supplémentaire de représenter des relations entre des objets concrets de pensée («… pour les relations, qui sont particulièrement caractéristiques de la pensée, il ne peut exister d’expression visuelle », Freud, 1923, p. 232-233), ils transforment aussi la cognition abstraite qui devient « déclarative ».
La principale valeur des mots, par conséquent, n’est pas qu’ils nous permettent de rendre conscients les processus incohérents du ça (que Freud croyait être inconscient) ; ce qui est le plus important concernant les mots, c’est leur capacité de représenter les relations entre les choses, de les re-représenter de manière abstraite. Ceci nous permet de penser à propos des choses, plutôt que de simplement penser les choses (de penser en images). Ceci souligne la perspective fondamentale à la « troisième personne », à laquelle nous allons revenir bientôt.
8. Le moi réflexif et le surmoi
J’ai dit dans le 1er sous-chapitre que le corps externe était constitué de la même étoffe perceptive que les autres objets, que le moi corporel s’inscrit tout à fait de la même manière que les autres objets sur la page de la conscience. C’est une représentation stabilisée du sujet de la conscience : un objet, un solide psychique, éprouvé par le sujet de la conscience. Ce sujet primaire de la conscience (le corps-en-tant-que-sujet) est le ça. Il est important de reconnaître que le « soi » corporel est une idée, même s’il s’agit d’une idée quotidienne. C’est une représentation apprise du soi.
A cette présentation d’objet, nous devons ajouter une autre complication appelée (par exemple) « Mark Solms » : la présentation de mot, qui n’est pas vraiment moi ni une image animée de moi mais, plutôt, une abstraction. Pour ce faire, je dois en dire un peu davantage sur la relation qui existe entre la « présence » subjective du ça et la représentation objective du corps.
Le sujet de la conscience s’identifie à son corps externe (la présentation d’objet) exactement comme un enfant se projette dans la figure animée qu’il contrôle dans un jeu vidéo. Cette représentation est rapidement investie avec un sentiment de soi, bien qu’elle ne soit pas vraiment le soi.
La nature apprise du corps externe est davantage démontrée par certains phénomènes frappants liés aux « neurones miroirs ». Gallese (2011) nous a rappelé au congrès de Berlin que les neurones miroirs déchargent de la même manière, qu’un mouvement soit accompli par soi ou par l’autre (voir aussi Gallese, Fadiaga, Fogassi et Rizzolattti, 1996). Dans ce cas, comment le soi fait-il la différence : comment sait-il si de tels mouvements sont accomplis par « moi » ou non ? Evidemment, quelque chose doit être ajouté à l’activité corticale motrice (des neurones miroirs) pour que cette distinction puisse être accomplie. Il se trouve que ce « quelque chose » est une inhibition frontale simultanée (qui supprime l’activation de l’insula postérieure). Gallese a rapporté que les patients schizophrènes ne pouvaient pas faire correctement la différence entre leurs propres mouvements et ceux d’autrui, car cette inhibition simultanée leur faisait défaut (Ebisch et al., 2012).
Ceci démontre à nouveau, d’abord, que le corps externe n’est pas un sujet mais un objet, et deuxièmement, qu’il est perçu dans le même registre que d’autres objets.
Pour faire cette distinction entre « moi » et « non-moi », le rôle des mots dans la conscience réflexive (c.-à-d., la conscience secondaire, l’accès à la conscience, la conscience déclarative, la conscience autonoétique, la pensée d’ordre supérieur, etc.) décrite plus haut, est primordial. Ce niveau abstrait de re-représentation permet au sujet de la conscience de transcender sa « présence » concrète et ainsi de se séparer en tant qu’objet des autres objets. Ce processus semble se dérouler sur trois niveaux d’expérience : (1) le niveau affectif ou phénoménal du soi en tant que sujet, c.-à-d. la perspective à la première personne ; (2) le niveau perceptif ou représentationnel du soi en tant qu’objet, c.-à-d. la perspective à la deuxième personne ; (3) le niveau abstrait ou re-représentationnel du soi en tant qu’objet en relation avec d’autres objets, c.-à-d. la perspective à la troisième personne.
Le soi de l’expérience quotidienne tend généralement à penser à propos de soi-même du point de vue de la perspective à la troisième personne, en relation avec d’autres objets, dans des situations aussi banales que « j’ai voulu faire tel mouvement » (et pas l’autre personne). Nous ne pouvons que conclure que le soi de l’expérience quotidienne est en grande partie une abstraction. Ceci révèle la puissance des mots.
Le fossé ignoré entre le soi primaire subjectif et le soi « déclaratif » re-représentationnel est source d’une grande confusion. En témoigne l’exemple de Benjamin Libet qui a enregistré un retard allant jusqu’à 400 millisecondes entre l’apparition physiologique de l’activation prémotrice et la décision volontaire de bouger. Ceci est typiquement interprété pour montrer que le libre arbitre est une illusion, quand en fait cela ne fait que montrer que la re-représentation réflexive, verbalement médiatisée, du soi déclaratif initialisant un mouvement survient un peu plus tard que l’initialisation réelle de ce mouvement par le soi affectif (primaire). Une telle confusion serait évitée si nous reconnaissions que le soi se déplie sur plusieurs niveaux d’expérience.
Ma conclusion principale peut maintenant être reformulée : le soi interne, synonyme du « ça » de Freud, est le réservoir de toute conscience ; le soi externe, synonyme du « moi » de Freud, est une représentation apprise inconsciente en elle-même, mais « avec laquelle » il est possible de penser consciemment quand elle est investie par le ça ; le soi abstrait, qui fournit l’échafaudage réflexif pour le « surmoi », est lui aussi inconscient, mais il peut « penser à propos » du moi consciemment. Puisque le moi stabilise la conscience générée dans le ça en transformant une portion de l’affect en perception consciente : des solides psychiques (et en conscience à propos des perceptions : des représentations verbales), habituellement, nous pensons de notre soi qu’il est conscient.
Ceci obscurcit le fait que nous sommes simplement conscients, et que notre pensée consciente (ainsi que notre perception, que notre pensée représente) est constamment accompagnée par de l’affect. Cette « présence » constante de sentiment est le sujet d’arrière-plan de toute cognition, sans laquelle la conscience de la perception et la cognition ne pourraient pas exister. Le sujet primaire de la conscience est littéralement invisible, nous devons donc d’abord le traduire en imagerie perceptuelle-verbale avant de pouvoir « déclarer » son existence. Il n’est donc pas étonnant qu’il soit si régulièrement ignoré. Mais le ça n’est stupide qu’au sens du dictionnaire. En vérité, il constitue la matière première dont sont faits nos esprits ; c’est donc à nos risques et périls que nous ignorons son existence. Comme Freud l’a remarqué un jour, dans un contexte presque opposé :
… en fin de compte, la propriété : conscient ou non, est notre unique fanal dans les ténèbres de la psychologie des profondeurs [Freud, 1923, p. 229].
Plus tard, quand il a été confronté au rouleau compresseur comportemental qui était sur le point de balayer le travail de toute sa vie, Freud a fait la remarque suivante sur la conscience, disant à son propos :
… un fait sans équivalent qui ne se peut ni expliquer ni décrire : la conscience. Cependant lorsqu’on parle de conscience, chacun sait immédiatement, par expérience, de quoi il s’agit… Une tendance extrémiste, telle, par exemple, celle du behaviourisme née en Amérique, pense pouvoir établir une psychologie qui ne tienne pas compte de ce fait fondamental ! [Freud, 1940, p. 18, note en bas de page].
Nous avons ainsi fait un cercle complet. Pour rétablir la différence entre le béhaviorisme et la psychanalyse : la science du sujet psychique, plus d’un siècle après que Freud eut introduit la notion d’un esprit inconscient (dont la validité est acceptée plus largement aujourd’hui qu’elle ne l’a jamais été auparavant), nous devons considérer la conscience à nouveau comme la caractéristique la plus fondamentale du psychique.
III. Les mécanismes de reconsolidation de la mémoire
Ce thème est actuellement un sujet très brûlant dans les recherches neuroscientifiques, et il
intéresse aussi beaucoup de psychanalystes (ou il le devrait…), qui y voient un rapport étroit avec la
formation du souvenir, l’oubli, le refoulement et la remémoration.
A. Reconsolidation de la mémoire : premières notions
Je ne citerai que quelques extraits de la présentation de Cristina Alberini,Professeur de neurosciences qui
travaille à l’Université de New York où elle dirige une équipe dans un laboratoire qui se concentre sur la
recherche sur la mémoire à long terme. Elle a fait une présentation sur sa recherche au 16ème congrès de la
Société internationale de neuropsychanalyse, qui s’est tenu à Amsterdam, en juillet 2015.
La reconsolidation de la mémoire, le processus par lequel la récupération du souvenir ramène les souvenirs à un état fragile puis les restabilise, a reçu beaucoup d’attention au cours de ces 15 dernières années dans les champs des neurosciences. Des études ont fourni la preuve que différents types de souvenirs ont différentes frontières de reconsolidation mnésique, différentes caractéristiques mécanistiques et suivent différents circuits. Il est de plus en plus clair maintenant que les processus de formation et de stockage de la mémoire sont dynamiques. Elucider la nature de l’évolution des changements biologiques qui accompagnent le codage, le stockage et le retrait des souvenirs est fondamental pour comprendre comment la mémoire se forme. Les souvenirs explicites ou souvenirs qui dépendent du lobe temporal médian, qui se forment après des événements discrets et qui sont stockés pendant longtemps, les changements physiques qui sous-tendent le codage et le traitement de l’information (la trace mnésique ou engramme) restent dans un état fragile pendant un certain temps. Mais avec le temps, la nouvelle mémoire devient de plus en plus résistante aux perturbations jusqu’à ce qu’elle soit consolidée. Le retrait ou la réactivation d’un souvenir apparemment consolidé peut le rendre labile à nouveau, et la reconsolidation est le processus qui survient pour médiatiser sa restabilisation. La reconsolidation évolue aussi avec l’âge du souvenir : de jeunes souvenirs sont sensibles à une perturbation post-réactivation, mais des souvenirs plus anciens sont plus résistants. Pourquoi un souvenir devient-il labile à nouveau s’il est récupéré ou réactivé ? Ici je suggère que la fonction principale de la reconsolidation est de contribuer au processus lent de la consolidation et de médiatiser le renforcement de la mémoire.
Pour qu’une information devienne de la mémoire à long terme, elle doit subir des changements progressifs et un processus de stabilisation, connu sous le nom de consolidation mnésique (McGaugh, 2000 ; Dubai, 2004). Ce terme a été proposé il y a plus de cent ans par Muller et Pilzecker (1900) pour indiquer qu’après un apprentissage, le souvenir se trouve d’abord dans un état labile mais, qu’avec le temps, il se stabilise et devient résistant aux perturbations.
D’un autre côté, le modèle animal et des études cliniques basées sur l’amnésie rétrograde et antérograde provoquée par un traumatisme cérébral, un accident vasculaire cérébral, ou une inactivation ou une ablation d’une région cérébrale, ont montré que, dans certains types de mémoire, comme ce qu’on appelle les mémoires explicites ou déclaratives, la consolidation s’étale dans le temps, pendant des périodes prolongées. La consolidation de ce type de souvenir a lieu dans le lobe temporal médian, et en partie dans l’hippocampe, ainsi que dans les structures associées, dont le fornix et le cortex entorhinal. Un traumatisme à l’hippocampe endommage les souvenirs déclaratifs humains vieux de plusieurs années, ainsi que les souvenirs animaux contextuels qui ont jusqu’à 30 jours ; les souvenirs plus anciens ne sont pas affectés (Smith et Squire, 2009). Il a donc été proposé que l’hippocampe travaille d’abord avec le néocortex pour consolider la mémoire mais, qu’avec le temps, son importance diminue. Ce sont des modifications dans le néocortex qui prennent progressivement la première place pour stocker l’information, en augmentant la connectivité entre les régions corticales distribuées (Squire, 2009).
Pendant plusieurs décennies, on a cru que la consolidation de la mémoire était un processus unitaire : une mémoire nouvellement formée nécessite une expression génique pendant plusieurs heures, après quoi elle devient stable ou consolidée (Davis et Squire, 1984). Mais des études au cours de la dernière décennie, commençant dès les années 1960, ont démontré que la première phase dépendante d’une expression de gènes, nécessitée pour la consolidation mnésique, n’est pas la seule en cause. En fait, si les souvenirs, qui sont devenus résistants aux inhibiteurs de l’expression génique, sont rappelés, ils deviennent labiles à nouveau pendant un temps limité. Pendant ce temps, le souvenir labile peut être perturbé par des bloqueurs semblables de l’expression des gènes. Le processus, par lequel un souvenir labile rappelé ou réactivé se restabilise au cours du temps est connu sous le nom de reconsolidation mnésique (Nader et al., 2000a ; Sara, 2000a). Un compte rendu par Nader et al. (2000b) a éveillé l’intérêt de la communauté scientifique pour la fragilité de la mémoire dépendant du rappel. De nombreuses études chez différentes espèces, et avec différents types d’apprentissages, ont rapporté des conclusions allant dans le même sens, prouvant la généralisation de la reconsolidation mnésique (Dudai et Eisenberg, 2004 ; Alberini, 2005 ; Tronson et Taylor, 2007 ; Nader et Einarsson, 2010).
Ces résultats ont aussi conduit à de nombreuses questions : la reconsolidation est-elle une récapitulation du premier processus de consolidation ? Les souvenirs subissent-ils une reconsolidation chaque fois qu’ils sont rappelés ? Est-ce que tous les types de souvenirs subissent une reconsolidation ? Quelle est la relation entre la reconsolidation et l’extinction ? Quels mécanismes sous-tendent la reconsolidation ? Quelle est la fonction de la reconsolidation ? L’âge d’un souvenir est-il une variable critique pour la reconsolidation ? Pouvons-nous viser le processus de reconsolidation pour affaiblir des souvenirs qui contribuent à des maladies comme le trouble de stress post traumatique ou l’addiction ?
Je vais me centrer sur ces trois dernières questions, puis proposer un modèle de la reconsolidation mnésique.
B. Les fonctions de la reconsolidation de la mémoire
Pourquoi le souvenir devient-il labile après avoir été rappelé ? Il est important de répondre à cette question, non seulement parce que cela permettra de mieux comprendre comment la mémoire fonctionne, mais aussi parce que cette connaissance est essentielle pour développer des approches cliniques précises qui utiliseront des stratégies intervenant après le rappel pour perturber ou affaiblir des souvenirs pathogènes. Au moins deux hypothèses, non mutuellement exclusives, ont été proposées pour expliquer la fonction de la reconsolidation. Selon l’une, le souvenir devient labile parce que, grâce à la reconsolidation, une nouvelle information est intégrée dans l’arrière-fond du passé, permettant ainsi à la mémoire d’être mise à jour (Lewis, 1979 ; Sara, 2000a ; Dudai, 2004). L’autre propose que le souvenir se reconsolide afin de devenir plus fort et de durer plus longtemps (Sara, 2000b).
La première hypothèse a été testée chez plusieurs espèces. Les conclusions atteintes sont contradictoires. Certaines stipulent que la reconsolidation ne médiatise pas la remise à niveau de la mémoire, d’autres qu’elle le fait. En termes généraux, nous pouvons définir la remise à niveau des souvenirs comme tous les changements qui sont incorporés dans un souvenir réactivé, du fait d’une entrée perceptive actuelle. Un facteur qui a été considéré critique pour la définition de la reconsolidation mnésique est de savoir si des agents amnésiants appliqués après la réactivation mnésique perturbaient la trace mnésique initiale ou si la réactivation, par définition, produisait un nouveau souvenir qui subissait une consolidation. Si la réactivation produit une nouvelle trace, alors perturber cette trace ne devrait pas affecter l’ancien souvenir ; il ne devrait pas y avoir de diminution dans la rétention mnésique en dessous des niveaux atteints par l’ancien souvenir (Debiec et al., 2002). Les expériences de reconsolidation avec de nombreuses tâches différentes et chez de nombreuses espèces ont montré que tel n’était pas le cas. Au contraire, il a été établi qu’après rappel ou réactivation, l’ancienne trace est effectivement d’une manière significative sensible à la perturbation.
Dans mon laboratoire, nous nous sommes centrés sur un lien entre deux expériences différentes (Tronel et al., 2005). Cette étude avait pour but de montrer si le fait de lier une nouvelle information à un souvenir établi auparavant, au moyen de sa réactivation, dépendait de manière critique de la reconsolidation de ce souvenir. En d’autres termes, est-ce que la reconsolidation médiatise l’incorporation d’une nouvelle information ? Nous avons trouvé que le fait de lier une nouvelle information à un souvenir réactivé n’était pas médiatisé par la reconsolidation du souvenir réactivé. Au contraire, quand nous avons bloqué la consolidation sélectivement, seul le nouveau lien (la mise à jour) a été perturbé, alors que le souvenir initial est resté intact. Nous avons conclu que quand deux expériences, l’une réactivée et l’autre nouvelle, deviennent liées, la reconsolidation de la trace réactivée ne médiatise pas cette mise à jour (Tronel et al., 2005). Des résultats semblables aux nôtres ont été trouvés avec des souvenirs associatifs chez le crabe Chasmagnatus (Suarez et al., 2010) ainsi que chez l’être humain (Forcato et al., 2010). Donc, la fonction de la reconsolidation doit être différente de celle de lier un souvenir réactivé à une expérience nouvelle, distincte. En termes généraux, nous pouvons en déduire que la mise à jour de la mémoire par la formation de réseaux complexes nécessite le rappel de souvenirs, mais pas la reconsolidation, et que la reconsolidation d’un souvenir réactivé n’altère pas le réseau entier des souvenirs associés mis à jour.
En résumé, en se basant sur les connaissances actuelles, je propose que le rôle fonctionnel de la reconsolidation est de médiatiser le renforcement du souvenir et d’empêcher l’oubli. A l’opposé, la mise à jour de la mémoire, avec un nouvel apprentissage et un nouvel encodage, entraîne la formation d’une nouvelle trace mnésique qui s’accompagne d’un nouveau processus de consolidation. Ainsi les traces mnésiques nouvelles et anciennes coexistent. Il semble probable que les traces qui sont retirées ou réactivées vont réfléchir quelle information va subir la reconsolidation et le renforcement. Comprendre les fonctions et les frontières du processus de la reconsolidation est essentiel pour concevoir des traitements qui visent la perturbation ou l’amélioration de la mémoire.
Pour l’application à la psychanalyse, c’est la discussion avec la salle qui a été intéressante, quand par exemple, je lui ai été demandé si l’amnésie infantile pouvait être levée. Elle a dit que les rats avaient aussi une amnésie infantile, jusqu’à J18. On peut entraîner les rats avant J17, ce qui laisse une trace. L’expérience peut être renouvelée, ce qui laisse une trace dans la mémoire à long terme. Une expérience épisodique est acquise pendant la période de l’amnésie infantile, ces souvenirs sont stockés sous forme de traces mnésiques latentes, qui peuvent être retrouvés plus tard. Et à ma question, elle a répondu qu’il en était nécessairement de même chez l’homme, vu les gênes que nous partageons : c’est l’argument évolutionniste qui permet de donner cette réponse.
Cristina Alberini a aussi expliqué ce qu’était la modulation de la mémoire par les états corporels, par des hormones, par exemple, ce qui rend la mémoire d’une certaine force sans réactiver le souvenir : c’est quelque chose qui avait déjà été prouvé. La modulation est liée à la réactivation quand l’émotion est ramenée.
C. Reconsolidation de la mémoire déclarative chez les humains, et application à la psychanalyse
Ce qui importe, c’est de savoir comment ces découvertes, faites surtout dans l’expérimentation animale, peuvent s’appliquer à l’homme et avoir une utilité pour la thérapie et aussi prendre une place dans la théorie psychanalytique.
1) Je ne citerai que quelques lignes du résumé de l’article de Celilia Forcato, citée par Cristina Alberini : L’hypothèse de la reconsolidation stipule qu’une mémoire consolidée pourrait à nouveau devenir instable et sensible à la facilitation ou à la perturbation pendant une période de temps discrète après une présentation de rappel. Ce phénomène a été démontré chez des espèces très variées et dans différents types de mémoire, y compris la mémoire procédurale humaine d’une tâche correspondant à un talent moteur, mais pas dans la mémoire déclarative. Ici nous fournissons les preuves tant de la consolidation que de la reconsolidation dans un apprentissage de paire associée (à savoir, apprendre une association entre une syllabe stimulus et la syllabe réponse correspondante)…. Nous considérons la démonstration de la reconsolidation dans la mémoire déclarative humaine comme soutenant l’universalité de ce phénomène et ayant une pertinence pour un potentiel clinique.
2) Voici comment Mark Solms intègre ces découvertes pour la défense d’une psychanalyse qui intègre ces nouvelles données :
La plupart de nos prédictions cognitives (à savoir, les manières dont nous satisfaisons nos besoins) sont remplies inconsciemment. La conscience (la « mémoire de travail » est une ressource très limitée, de sorte qu’il y a une pression énorme pour automatiser les solutions apprises aux problèmes que pose l’existence (pour une recension, voir Bargh et Chartrand, 1999, qui concluent que seulement 5% de nos actes dirigés vers des buts sont conscients). Les prédictions innées sont effectuées automatiquement dès le départ, comme le sont les prédictions acquises pendant les premières années de la vie, avant que les systèmes conscients mnésiques (la mémoire « déclarative ») maturent. De nombreux systèmes mnésiques inconscients (« non déclaratifs ») existent, tels que la mémoire « procédurale » et « émotionnelle », qui opèrent selon des règles différentes. Ce ne sont pas seulement les prédictions qui ont réussi qui sont automatisées. Parfois un enfant doit faire le mieux qu’il peut même dans une situation difficile afin de se centrer sur les problèmes qu’il peut résoudre. Les prédictions automatisées de manière illégitime ou prématurée sont appelées « le refoulé ». Pour que les prédictions automatisées puissent être révisées et remises à niveau, elles doivent être « reconsolidées » (Nader et al., 2000, Sara, 2000, Tronson et Taylor, 2007) ; c’est-à-dire qu’elles doivent entrer dans la conscience à nouveau, afin que les traces à long terme deviennent labiles encore une fois. C’est quelque chose de difficile, pas seulement parce que les souvenirs procéduraux sont « difficiles à apprendre et difficiles à oublier », et que quelques souvenirs émotionnels – qui peuvent être acquis parfois lors d’une seule exposition – semblent être indélébiles, mais aussi parce que le mécanisme essentiel du refoulement comporte une résistance à la reconsolidation de solutions automatisées à nos problèmes insolubles.
La thérapie psychanalytique diffère de toute autre forme de psychothérapie en ce qu’elle a pour but de reconsolider profondément des prédictions automatisées. Par conséquent, la technique psychanalytique se centre sur :
– l’identification des émotions dominantes (qui sont consciemment ressenties mais pas nécessairement reconnues comme appartenant au soi, etc.) ;
– ces émotions, qui révèlent le sens du symptôme. C’est-à-dire qu’elles mènent aux prédictions automatisées (sans succès) qui ont donné naissance aux sentiments ;
– les prédictions pathogènes, qui ne peuvent pas être remémorées directement pour la raison même qu’elles sont automatisées (i.e. inconscientes). Donc, l’analyste les identifie indirectement, en amenant à la conscience les schémas répétitifs de comportement qui en dérivent ;
– la reconsolidation, qui est ainsi accomplie au moyen de la réactivation de traces à long terme par l’intermédiaire de leurs dérivés dans la situation présente (c’est ce qu’on appelle l’interprétation du « transfert ») ;
– une telle reconsolidation est néanmoins difficile à accomplir, surtout à cause des manières dont les systèmes de mémoire non déclarative travaillent (ils sont « difficiles à apprendre, difficiles à oublier »), mais aussi parce que le refoulement implique une résistance intense à la réactivation de problèmes insolubles. Pour cette raison, le traitement psychanalytique prend du temps – c’est-à-dire, des séances nombreuses et fréquentes – pour faciliter la « perlaboration ».
IV. Un peu de philosophie pour terminer
Je reprends la théorie du monisme à double aspect de Jaak Panksepp, qui est reprise par Mark Solms, et il me semble, par Damasio aussi :
Il dit : « Le système du noyau du SOI, constitué d’un réseau complexe de circuits instinctifs, génère non seulement des comportements émotionnels et des changements corporels associés, mais aussi des affects bruts. Pour ces raisons, nous épousons une théorie de monisme à double aspect. Le monisme, par opposition au dualisme, propose que tout ce qui arrive dans l’esprit est finalement enraciné dans une seule substance : dans ce cas, le cerveau physique, et apparemment le plus fondamentalement dans les systèmes sous-corticaux et corticaux de la ligne médiane. L’aspect duel se réfère à l’idée que ces systèmes de la ligne médiane génèrent en même temps deux aspects apparemment distincts d’émotions : des tendances à l’action émotionnelle, cohérentes, qui sont associées à des états psychologiques en processus primaires (les affects). »
Je mets cette position en perspective par rapport à celle-ci, qui ne peut venir que d’un mathématicien et physicien (mais qui me plaît bien…) :
Pour Penrose (astrophysicien, collaborateur de Stephen Hawking), et contrairement aux visions courantes, le monde mental n’émerge pas du monde physique (en termes de calcul) mais ils sont simplement en relation et le monde mental doit être descriptible en terme physique. Penrose pense que le mental se crée par une action physique du cerveau bien que les calculs ne le simulent pas convenablement. Penrose est partisan d’une version où ‘… il s’agit de chercher la non-computabilité dans une physique qui établirait le pont entre les niveaux quantique et classique. Non seulement j’affirme que nous avons besoin d’une physique nouvelle, mais aussi que celle-ci doit s’appliquer à l’action du cerveau (p. 120).’
Penrose propose une théorie (à partir d’une structure biochimique) déterministe mais non-computationnielle (non calculable) pour justifier des propriétés de la conscience faisant appel à la théorie quantique. Pour l’auteur, la physique actuelle ne permet pas de rendre compte des phénomènes observés. Les propriétés de non-calculabilité seraient l’équivalent du libre arbitre et du hasard, cette nouvelle physique déterministe engendrerait des propriétés imprévisibles et créatrices. Nous ne sommes pas dans les processus d’émergence de la conscience acceptés habituellement dans le fonctionnalisme. Le passage du niveau physique au niveau mental ne se fait pas par une ‘émergence’ quelque peu énigmatique (théorie moderne des sciences cognitives), mais par une nouvelle physique appelant à l’indétermination quantique. Penrose conçoit trois mondes, platonicien, physique et mental (c’est plus qu’un dualisme, en somme). Pour lui, le monde mathématique existe en soi et une partie est accessible par le monde mental. Je me demande qui a raison ?
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