Volker A. Hartmann Cardelle – Chercheur indépendant
Résumé
Dans cet article, la thèse selon laquelle le ça est conscient [(Solms, 2013a), « The conscious id, Neuropsychoanalysis, 15(1), 5-19][1] est examinée en mettant en lumière une hypothèse implicite fondamentale sur laquelle cette argumentation repose. La validité de cette hypothèse est ensuite évaluée de deux manières : d’abord par une analyse de la description par Freud de la relation entre l’appareil psychique et le cerveau, ensuite en analysant les implications neuropsychanalytiques de la machine de Mealy [Mealy, 1955. Une méthode pour synthétiser les circuits séquentiels. Bell Labs Techincal Journal, 34(5), 1045-1079] : un modèle mathématique utilisé pour décrire la relation entre le software et le hardware des ordinateurs. Le résultat de mon étude est que l’hypothèse implicite de Solms tombe sous le coup d’objections sérieuses, et par conséquent, que la conclusion que le ça est conscient ne peut pas être maintenue. Dans la suite de l’article, je développe, en me fondant sur les découvertes neuroscientifiques sur lesquelles Solms a développé sa thèse [Solms & Panksepp, 2012. « The ‘id’ knows more than the ‘ego’ admits : Neuropsychoanalytic and primal consciousness perspectives on the interface between affective and cognitive neuroscience »[2], Brain Sciences, 2(2), 147-175], une modification différente du modèle topique. J’y parviens par une analyse du développement que fait Freud de sa théorie métapsychologique entre 1899 et 1923, en me centrant particulièrement sur sa conceptualisation de la conscience, qui a subi, comme je vais le démontrer, un très grand changement. Il en résulte un nouveau modèle métapsychologique qui, comme je le prétends, se débarrasse d’un point faible crucial du modèle topique [Freud, 1923.The ego and the id. Standard Edition, 19, 12-59][3] et permet ainsi l’intégration de différentes théories neuropsychologiques.
Mots clés : métapsychologie ; appareil psychique ; conscience ; problème cerveau-esprit ; machine de Mealy
La nécessité d’une critique du ça conscient
La thèse de Mark Solms du « ça conscient » (Solms, 2013a), est sans doute celle qui a provoqué le plus de débats, en provenance du champ de la neuropsychanalyse, dans le discours psychanalytique, à ce jour. Jusqu’à présent, cet article a été cité plusieurs douzaines de fois, et dans certains cas les auteurs ont intégré les hypothèses dans leurs discussions théoriques voire cliniques (voir, par exemple, Anderson, 2016 ; Bryan, 2014 ; Johnon & Flores Mosri, 2016). Mais une discussion critique approfondie de cette thèse semble absente au sein même de la communauté neuropsychanalytique, si l’on excepte les commentaires qui ont été publiés en même temps que l’article de Solms (Bazan, 2013 ; Berlin, 2013 ; Carhart-Harris, 2013 ; Fotopoulou, 2013 ; Friston, 2013 ; Gallese, 2013 ; Hopkins, 2013 ; Kessler, 2013a ; Kessler, 2013b ; Kunstadt, 2013 ; Northoff, 2013 ; Panksepp, 2013 ; Tsakiris, 2013 ; Turnbull, 2013 ; West, 2013 ; Zellner, 2013). Ceci peut s’expliquer par le fait qu’il existerait une acceptation tacite de celle-ci. Mais ce n’est pas l’impression que j’ai ; tout au contraire, j’ai rencontré beaucoup de psychanalystes qui ne sont pas d’accord avec cette thèse. Selon moi, leur silence public n’est pas dû à une acceptation mais plutôt à un manque de critique élaborée de celle-ci. Mais quelle qu’en soit la raison, ce silence nuit à la thèse de Solms, parce que dans le champ élargi de la psychanalyse, jusqu’à présent, je n’ai rencontré aucune discussion réelle de cette proposition. Ma conviction est que si nous n’entamons pas une discussion de cette thèse au sein de la communauté neuropsychanalytique, cette discussion n’aura lieu nulle part ailleurs. Sans une telle discussion, les découvertes très importantes de Solms resteront pour longtemps ignorées en psychanalyse.
Pour favoriser une discussion future du ça conscient, j’élaborerai dans cet article une critique métapsychologique de l’argumentation de Solms en acceptant les affirmations neuroscientifiques de sa position.
Je commencerai en présentant une analyse de l’argumentation de Solms. Puis je discuterai le statut ontologique d’entités métapsychologiques, pour construire la fondation pour ma critique de sa thèse. Enfin, je proposerai mon opinion concernant les conclusions qui devraient plutôt être tirées des données neuroscientifiques sur lesquelles Solms a fondé sa thèse.
Analyse de l’argument de Solms
Pour analyser l’argument de Solms, je vais d’abord en donner un bref résumé. Celui-ci sera complété par un compte rendu de l’hypothèse fondamentale et néanmoins, selon moi, implicite, de l’argument de Solms.
Résumé de l’argumentation de Solms
L’argumentation que Solms a développée dans l’article « The Conscious Id » (Solms, 2013a) commence par un passage en revue des données neuroscientifiques selon lesquelles il existe deux représentations différentes du corps dans le cerveau. Ce qui suit est un résumé de la description par Solms et Panksepp (Solms, 2013a ; Solms & Panksepp, 2012) de ces deux systèmes neurobiologiques. Le soi-disant « corps externe » comprend le corps tel qu’il nous apparaît à nos organes sensoriels, complété par les cartes motrices du système moteur. Ainsi le corps externe est principalement, sinon exclusivement représenté dans le cortex. Le « corps interne », d’un autre côté, comporte des régions cérébrales qui traitent et régulent l’état du corps : elles représentent les besoins biologiques du corps à l’intérieur du cerveau, elles fonctionnement d’une manière autonome, et exercent leur influence dans le cerveau sous la forme de sentiments. D’après Solms, qui se réfère à Damasio (2010) sur ce point, le corps interne comporte l’hypothalamus et les organes périventriculaires qui l’entourent, ainsi que les noyaux du tronc cérébral, dont le noyau parabrachial et l’aera postrema, le noyau solitaire, la substance grise périaqueducale (PAG), et d’autres.
Dans ce compte rendu, la relation entre le corps interne et le corps externe se fait comme suit : Le corps interne produit l’éveil, qui finalement active le corps externe, influençant ainsi fortement notre comportement. Ce système d’éveil est communément connu comme le système d’activation réticulaire ascendant (SARTE) (Panksepp, 1998 ; Pfaff, 2006). En outre, la relation fonctionnelle entre ces deux systèmes corporels est hiérarchique. Si des parties du corps externe sont endommagées, le corps interne continue de fonctionner, alors que la destruction du corps interne provoque aussi l’échec du corps externe. Le plus important est que ces deux systèmes neurologiques contribuent à la conscience de manières fondamentalement différentes. Alors que le corps externe – comme le cortex en général – génère des objets de conscience, le corps interne produit des états de conscience. Ces états de conscience ne diffèrent pas seulement quantitativement (c’est-à-dire en intensité, comme on peut le déterminer par l’échelle de coma de Glasgow), mais qualitativement aussi, car « l’aspect interne de la conscience ‘donne le sentiment’ de quelque chose »[4] (Solms, 2013a, p. 7), et ce « quelque chose » est ce à quoi le corps interne contribue[i]. Solms décrit la relation fonctionnelle entre ces deux systèmes neurologiques dans la conscience par la phrase : « Je me sens comme ceci à propos de cela »[5] (Solms, 2013a, p. 7, italiques dans l’original).
Enfin, la même relation hiérarchique qui préside au fonctionnement global de ces deux systèmes neurologiques en général, est valable aussi pour leurs contributions à la conscience. Pour illustrer cela, Solms se réfère, parmi d’autres exemples, au cas d’enfants souffrant d’hydrocéphalie (c’est-à-dire, des enfants nés avec peu ou pas de cortex du tout) qui, bien que complètement aveugles et sourds, présentent des cycles d’éveil et de sommeil et des réactions émotionnelles qui suggèrent fortement que ces enfants sont conscients (Merker, 2007 ; Shewmon, Holmse & Byrne, 1999). Ainsi, même la perte totale de tout le cortex n’entraîne pas une perte de conscience (l’état clinique que Solms identifie avec une perte totale de conscience est le coma). A l’opposé, une atteinte des structures du corps interne peut conduire à une perte totale et irréversible de la conscience. La plus petite structure qui provoque une perte permanente de conscience, si elle est détruite, est la substance grise périaqueducale (PAG), une petite structure de matière grise qui se trouve dans le tronc cérébral.
Le point central de l’argumentation de Solms repose donc sur le lien qu’il fait entre les propositions suivantes : D’abord, puisque, selon lui, le corps interne remplit fondamentalement les fonctions que Freud a attribuées au ça (par exemple, la représentation des besoins corporels et des instincts[ii]), il conclut que le ça doit être compris comme l’équivalent du corps interne. Deuxièmement, les mêmes structures neurologiques médiatisent à la fois le corps interne et la conscience. Puisque Solms identifie les états de conscience, par opposition aux objets de la conscience, avec le sujet conscient, il en conclut que le ça est le sujet conscient, et qu’il est donc conscient de manière inhérente. C’est l’argument clé sur lequel Solms fonde toutes ses élaborations ultérieures.
Ensuite, il établit les correspondances suivantes : « Le corps externe correspond au ‘moi’, le corps interne au ‘ça’ » (Solms, 2013a, p. 7). Il étaye cette identification en citant Freud :
Le moi est avant tout un moi corporel, il n’est pas seulement un être de surface, mais il est lui-même la projection d’une surface. Si l’on cherche une analogie anatomique, le mieux est de l’identifier avec l’ « homoncule cérébral » des anatomistes, qui se trouve dans le cortex cérébral, la tête en bas et les pieds en haut, regardant vers l’arrière et, on le sait, portant à gauche la zone du langage[iii]. (Freud, 1923, p.238)
Je pense que j’ai bien résumé l’essentiel de l’argumentation de Solms. Une critique scientifique fructueuse de sa thèse doit confronter cet argument, problématiser ses hypothèses et, si l’argumentation est considérée infondée, développer enfin une interprétation alternative des données neuroscientifiques sur lesquelles elle repose, comme je vais le faire en détail plus loin.
Les hypothèses explicites et implicites de Solms
L’argument de Solms repose sur deux hypothèses explicites. Premièrement, l’hypothèse que les structures neurologiques qui forment le corps interne accomplissent les (au moins la plupart des) fonctions attribuées au ça et, deuxièmement, l’hypothèse que la conscience émane du tronc cérébral, et donc du corps interne. Je considère que ces deux hypothèses sont correctes. Mais il existe une troisième hypothèse implicite qu’il faut examiner.
Lorsqu’il conclut, d’après les hypothèses explicites, que le ça est conscient, Solms, comme je vais l’argumenter, suppose aussi implicitement que chaque propriété du corps interne est aussi une propriété du ça. Alors qu’il peut sembler que cette hypothèse procède nécessairement de la première hypothèse explicite, la possibilité que certaines fonctions du corps interne ne fassent pas partie du ça est aussi logiquement compatible avec cette hypothèse explicite. Faire une équivalence complète entre le corps interne et le ça n’est une conclusion nécessaire que si l’on met en relation certaines structures de l’appareil psychique avec certaines structures anatomiques d’une manière exclusive, une à une. Sans cette hypothèse implicite, je ne peux absolument pas concevoir comment on pourrait conclure que le ça est conscient. Certains lecteurs pourraient penser que cette hypothèse est triviale, mais je prétends qu’elle est significative.
Alors qu’une correspondance une à une entre l’appareil psychique et les structures anatomiques peut sembler procéder avec une nécessité déductive de la position du monisme à double aspect, c’est-à-dire de l’affirmation que le cerveau comme l’appareil psychique sont deux apparences différentes de la même chose (Solms & Turnbull, 2002), il n’en va pas ainsi. Si l’on est d’accord avec cette affirmation que le cerveau et l’appareil psychique sont des apparences d’une seule et même chose, on est alors simplement contraint de supposer que l’on peut exprimer des parties de l’appareil psychique en utilisant des parties du cerveau, mais on n’est pas contraint de supposer que des parties de l’appareil psychique doivent être rapportées dans un rapport exclusif à des parties du cerveau. « Relation exclusive » veut dire que si une structure de l’appareil psychique dépend d’une structure cérébrale, alors une autre partie de l’appareil psychique ne peut pas être localisée dans la même structure cérébrale.
Ce point peut s’exprimer grâce à des termes provenant des mathématiques de la théorie des ensembles. Si nous considérons le cerveau et l’appareil psychique comme deux ensembles d’entités, l’hypothèse d’un lien ontologique entre le cerveau et l’appareil psychique veut dire que les deux ensembles peuvent être mis en relation l’un avec l’autre. Cependant, la question reste ouverte de savoir comment ces deux ensembles peuvent être mis en relation. En ne disant pas le contraire explicitement, il semble que Solms suppose que la réponse à cette question est que leur relation est bijective : pour chaque élément de l’ensemble A il existe un élément et un seul de l’ensemble B correspondant, et que pour chaque élément de l’ensemble B il n’existe qu’un élément et un seul de l’ensemble A correspondant (Devlin, 2003). La bijection veut dire dans ce cas, que pour chaque partie de l’appareil psychique il n’existe qu’une et une seule partie du cerveau qui lui correspond. Pourtant, deux ensembles peuvent être reliés autrement que par une simple relation bijective : il peut s’agir par exemple d’une relation surjective ; en tous cas on ne peut pas considérer comme allant de soi que la relation entre le cerveau et l’appareil psychique ressemble à une bijection.
Comme je l’ai dit plus haut, l’hypothèse d’une relation bijective entre le cerveau et l’appareil psychique est nécessaire pour la démonstration de Solms. Parce que, si l’on arrive à montrer dans quelle partie du cerveau se trouve située une partie de l’appareil psychique, on peut alors déduire qu’une autre structure de l’appareil psychique ne peut pas y être localisée. On peut d’autre part déduire que toute propriété donnée de cette région cérébrale doit être une propriété de la structure correspondante de l’appareil psychique. Cependant, si l’on ne suppose pas une telle relation, on ne peut pas atteindre ces conclusions, et on ne pourrait donc pas déduire que seul le ça est médiatisé par le tronc cérébral, et que par conséquent le ça est conscient.
Les deux figures (voir Figures 1 et 2) dans lesquelles Solms dépeint différentes régions du cerveau dans des couleurs qui correspondent à différents systèmes de l’appareil psychique témoignent de l’hypothèse de cette relation d’exclusivité. Je suggère que l’on pourrait défendre le point de vue selon lequel le cerveau et l’appareil psychique sont deux phénomènes différents de la même chose, et pourtant dépeindre la même région du cerveau avec deux couleurs différentes, indiquant ainsi que deux systèmes de l’appareil psychique coïncident dans cette structure anatomique. Un autre élément de preuve est la citation suivante :
La partie du cerveau qui accomplit les fonctions que Freud attribue au ça, à savoir, la partie du cerveau qui génère les pulsions[iv] et les instincts, et qui fonctionne selon le principe de plaisir, est conscient. […] Le moi, ou la partie du cerveau qui accomplit les fonctions que Freud a attribuées au moi, est intrinsèquement inconscient ; ses fonctions ne deviennent conscientes que lorsqu’elles sont activées par le ça.[6] (Smith & Solms, 2018, p. 47)
Par conséquent, Solms traite implicitement une partie du cerveau comme si elle était équivalente à une partie de l’appareil psychique, sinon, ce passage serait incompréhensible.
Figure 1. Vues latérale et en coupe du cerveau humain. (Bleu foncé = cortex de projection sensoriel ; bleu clair = cortex sensoriel associatif ; vert = cortex de projection moteur ; jaune = cortex moteur associatif ; rouge = noyaux autonomes ; violet = noyaux de l’éveil ; blanc = circuit émotionnel de base). (Solms, 2013a, p. 6). Notez que les couleurs impliquent aussi que les régions de l’appareil psychique qui sont colorées de la même couleur (Figure 2), sont localisées dans les régions apparentées.
Figure 2. Modèles classiques de Freud de l’esprit, colorés pour illustrer les corrélats métapsychologiques des régions anatomiques identifiées dans la Figure 1 (Solms, 2013a, p. 8). Notez que selon l’affirmation de Solms, cette figure implique que chaque région du cerveau ne peut avoir pour corrélat qu’un seul système de l’appareil psychique, et de même, chaque système de l’appareil psychique ne peut être en relation qu’avec une seule région du cerveau, avec laquelle aucun autre système de l’appareil psychique n’est en relation. C’est ce que je veux dire par relation exclusive entre les structures du cerveau et les systèmes de l’appareil psychique.
Il légitime cela en faisant référence au fait que les instincts (« instinkte » en allemand), un ensemble de fonctions du ça, dépendent de cette structure cérébrale. Mais cela ne peut être pris pour une justification suffisante que si l’on fait l’hypothèse que des parties du cerveau et des parties de l’appareil psychique entrent en relation l’une avec l’autre d’une manière exclusive.
Une autre indication que Solms suppose une relation d’exclusivité entre les parties de l’appareil psychique et les structures cérébrales est le fait qu’il argumente que le moi est situé dans le cortex, c’est-à-dire qu’il correspond au corps externe. Au contraire, bien qu’il sache certainement qu’en allemand le mot « ich » (‘ego’) est habituellement utilisé pour faire référence au sujet conscient, il ne fait aucun commentaire sur la possibilité que les données qu’il résume pourraient aussi être utilisées pour localiser le moi dans les structures cérébrales qu’il appelle le corps interne. Cela suggère fortement qu’il prend pour acquis que, puisque le ça est identifié au corps interne, le moi ne peut pas être aussi localisé dans le corps interne. Ainsi, en me fondant sur ces deux exemples explicites dans ses textes, ainsi que sur l’absence d’affirmations du contraire, j’en retire la conclusion qu’il fait l’hypothèse que des parties de l’appareil psychique entrent en relation d’une manière exclusive avec des structures cérébrales.
La relation entre l’appareil psychique et le cerveau
Solms finit par défendre un changement de définitions dans la métapsychologie freudienne. Pour situer le contexte permettant d’évaluer les prétentions de Solms en rapport avec les définitions de Freud, il est absolument nécessaire de discuter d’abord la manière dont la métapsychologie, qui décrit l’appareil psychique, d’un côté, et les neurosciences, qui décrivent le cerveau, de l’autre, entrent en relation.
Le problème consistant à mettre en relation le cerveau et l’appareil psychique
Comme je l’ai indiqué plus haut (voir « Les hypothèses explicites et implicites de Solms »), il existe nécessairement une relation entre le cerveau et l’appareil psychique ; cependant, la question reste ouverte de savoir comment décrire cette relation. Comme je l’ai montré, Solms fait le plus probablement l’hypothèse implicite que cette relation ressemble à une relation bijective, c’est-à-dire à une relation d’exclusivité entre des parties du cerveau et des parties de l’appareil psychique. Mais cette hypothèse est-elle vraiment étayée par les points de vu de Freud, comme Solms (2013a) le prétend ?
L’appareil psychique est une entité fonctionnelle et est l’objet de la description de la métapsychologie[v]. Cela signifie que Freud a essayé de décrire l’appareil psychique en tant que système comprenant des fonctions, et les structures de l’appareil psychique sont par conséquent des structures fonctionnelles ; par exemple, le moi est constitué de différentes fonctions comme les systèmes de pensée ou l’appareil de langage (Freud, 1923). Par exemple, l’appareil linguistique peut, parmi d’autres choses, transformer des contenus inconscients en contenus préconscients, alors que les systèmes de pensée peuvent produire des relations entre des événements perçus et ainsi produire, ou du moins favoriser la production du souvenir d’un événement qui est étendu dans le temps. (Freud, 1923, 1900a, [1899])[vi]. Le point fondamental est que les relations à l’intérieur de cet appareil, bien qu’elles soient décrites par la soi-disant topique métapsychologique, ne doivent pas être mises en équivalence avec des relations spatiales réelles (c’est-à-dire physiques). L’espace au sein de la topique métapsychologique est, pourrait-on dire, un espace métaphorique, c’est-à-dire un espace qui aide à exprimer des relations fonctionnelles à l’intérieur de l’appareil psychique. Pour exprimer cela plus clairement je cite le passage suivant :
Nous avons dit que la conscience est la surface de l’appareil psychique, c’est-à-dire que nous l’avons attribuée comme fonction à un système qui, spatialement, est le premier en partant du monde extérieur. Spatialement, non seulement d’ailleurs dans le sens de la fonction, mais, cette fois, dans le sens aussi du découpage anatomique. Notre recherche, elle aussi, doit prendre cette surface perceptive comme point de départ. (Freud, 1923, p. 230)
Il est frappant dans ce passage que Freud insiste explicitement sur le fait que la classification « spatiale » se réfère « non seulement d’ailleurs » à la fonction, mais aussi à l’espace anatomique et donc physique. Ceci prouve que chaque fois que Freud ne le dit pas explicitement, son usage des mots « spatial » et « topique » dans le contexte de la métapsychologie ne se réfère pas à l’espace réel mais à l’espace logique de la métapsychologie, c’est-à-dire à un espace métaphorique utilisé pour distinguer les relations fonctionnelles. Ceci est de la plus grande importance pour distinguer ces deux significations du mot « topique ». La déclaration suivante illustre davantage comment Freud a utilisé ces termes :
Pour le moment, notre topique psychique n’a rien à voir avec l’anatomie ; elle se réfère à des régions de l’appareil psychique, où qu’elles se situent dans le corps, et non à des localités anatomiques. (Freud, 1915b, p. 79 ; italiques dans l’original)
Bien sûr, dans l’Abrégé de psychanalyse, Freud va affirmer que l’appareil psychique se situe dans le cerveau. Le point critique est que cela ne signifie pas pour autant que les régions de l’appareil psychique correspondent à des régions anatomiques selon un mode un à un. La position que je soutiens est que l’appareil psychique est localisé dans le cerveau mais que ses parties ne sont pas localisées d’une manière exclusive dans des parties du cerveau. Et ce point de vue est en parfait accord avec la déclaration suivante de Freud :
De ce que nous appelons psychisme (ou vie psychique) deux choses nous sont connues : d’une part son organe somatique, le lieu de son action, le cerveau (ou le système nerveux) […]
Nous admettons que la vie psychique est la fonction d’un appareil auquel nous attribuons une extension spatiale et que nous supposons formé de plusieurs parties. Nous nous le figurons ainsi comme une sorte de télescope, de microscope ou quelque chose de ce genre. La construction et l’achèvement d’un tel modèle sont une nouveauté dans le domaine scientifique, en dépit des tentatives du même genre qui ont pu, auparavant, être faites. (Freud, 1940, p. 3)
Cette métaphore du télescope, qu’il a d’abord utilisée dans l’Interprétation du rêve (Freud, 1900a [1899]), parle explicitement contre la vision selon laquelle il faudrait voir les régions de l’appareil psychique comme des régions anatomiques. Freud y dit que, bien qu’un télescope soit constitué de parties matérielles, les localités de cet appareil sont purement virtuelles ; en se référant à Fechner (1889, p. 520), Freud désigne une telle localité : une « localité psychique » (Freud, 1900a [1899][7]). Enfin, la déclaration de Freud selon laquelle l’élaboration de la description anatomique concrète de l’appareil psychique est une « nouveauté scientifique » entre en résonnance avec sa déclaration extraite de l’Inconscient (1915b) citée ci-dessus, où il dit que la topique métapsychologique n’a « pour le moment rien à voir avec l’anatomie » (p. 79). Ce que cela signifie, c’est que pour décrire la manière dont l’appareil psychique est situé dans le cerveau, il ne s’agit pas de raffiner la topique métapsychologique, mais que c’est une question différente, qui requiert une nouvelle sorte de description[vii].
Arrivé ici, le lecteur neuroscientifique pourrait se sentir contraint de soulever l’objection suivante : La recherche neuroscientifique rend possible la description du cerveau, non seulement d’une manière anatomique ou physique, mais fonctionnelle aussi. On comprend donc aujourd’hui le cerveau sur le plan fonctionnel. Et ce que Solms a fait, ce n’est pas de mettre en relation l’appareil psychique avec des structures anatomiques du cerveau, mais avec des aspects fonctionnels de ces structures anatomiques.
Contre cette objection, je voudrais rappeler que Freud était très au fait que l’on pouvait assigner des propriétés fonctionnelles à différentes structures anatomiques du cerveau (Freud, 1891). En fait, il était très doué pour cette approche scientifique (Kaplan-Solms & Solms, 2000). Pourtant, il a soutenu que les fonctions qu’il décrivait sur le plan métapsychologique n’étaient pas à considérer comme des fonctions de structures anatomiques cérébrales :
On est allé un peu plus loin […] en découvrant que les parties du cerveau ont des valeurs inégales et des relations différentielles à des parties du corps et des activités mentales déterminées. Mais toutes les tentatives pour deviner, à partir de là, une localisation des processus psychiques […] ont radicalement échoué. Le même destin s’offrirait à une théorie qui envisagerait de reconnaître le lieu anatomique du système Cs, de l’activité psychique consciente, dans le cortex et de placer les processus inconscients dans les parties subcorticales du cerveau[viii]. Il y a là une lacune manifeste, qu’il n’est pas possible, actuellement, de combler et qui, de plus, ne relève pas des tâches de la psychologie. (Freud, 1915, p. 78-79, italiques dans l’original)
En d’autres termes, Freud a argumenté que la fonction d’une structure anatomique spécifique n’était pas la même que la fonction de l’appareil psychique. Et Freud dit cela tout en étant bien conscient que l’on peut assigner un rôle fonctionnel à des tissus cérébraux[ix].
La machine de Mealy et ses implications pour la compréhension de la relation entre le cerveau et l’appareil psychique
Pour continuer à explorer le problème de la mise en relation de l’appareil psychique et du cerveau, permettez-moi de recourir à une science empirique qui traite d’un problème semblable : l’informatique, qui traite de la mise en relation du software et du hardware[x]. Les modèles mathématiques développés pour rendre compte de cette relation pourraient être utiles pour traiter la question du rapport entre le cerveau et l’appareil psychique. En me fiant à cette approche, je ne veux certainement pas impliquer que le cerveau ressemble en tous points à un ordinateur artificiel fait par la main de l’homme, mais je prétends néanmoins que le cerveau correspond à la définition théorique et informationnelle des ordinateurs, à savoir que c’est une entité qui peut récolter, traiter, stocker et dispenser de l’information. Par conséquent, Il est parfaitement valide de proclamer que les modèles mathématiques qui s’appliquent à un tel système s’appliquent aussi au cerveau (Dietrich, Bruckner, Müller, Zucker & Kupzog, 2010).
Que peut-on inférer de la technologie de l’information sur la relation entre le cerveau et l’appareil psychique ? Dans le projet SIMA, Dietrich et ses collègues (Dietrich et al., 2015 ; Zucker & Doblhammer, 2017) conceptualisent l’appareil psychique comme le software du cerveau. A cette fin, la relation entre l’appareil psychique et le cerveau a été formalisée en utilisant la machine de Mealy (Mealy, 1955). Il s’agit d’un modèle mathématique connu et testé et qui est le fondement des ordinateurs contemporains, et incidemment, il est le seul modèle mathématique connu capable de décrire les ordinateurs au moyen d’une théorie fonctionnelle (Wendt, 2013).
La théorie de Mealy (Mealy, 1955) affirme que pour décrire un système de traitement de l’information (par exemple, le cerveau), il faut développer deux descriptions subordonnées : une description physique, qui ne décrit le système qu’au moyen des lois et des entités de la physique, et une description théorico-informationnelle, qui décrit le système en tant que système fonctionnel. En outre, la théorie de Mealy décrit comment ces deux descriptions peuvent être traduites l’une en l’autre. Par conséquent, la théorie de Mealy comporte une théorie mathématique sur la manière de traduire la description fonctionnelle en processus physiques. La théorie de Mealy affirme que le système fonctionnel dans sa globalité est localisé à l’intérieur du système physique. Cependant, les fonctions spécifiques, qui constituent le système d’information fonctionnel, ne correspondent pas exclusivement à des structures physiques. Ainsi, il est possible que dans la même entité physique, de multiples fonctions du système d’information coexistent, ou qu’une seule entité puisse participer à de multiples fonctions d’information. Ceci entre en résonnance avec la description que Freud fait de la relation entre l’appareil psychique et le cerveau décrite plus haut (voir « Le problème consistant à mettre en relation le cerveau et l’appareil psychique »). En conséquence, il s’agit d’une preuve qui montre que ma compréhension de l’approche par Freud de la relation entre l’appareil psychique et le cerveau n’est pas contradictoire, mais au contraire cohérente, puisque elle est parallèle à un modèle mathématique connu et testé en technologie informatique.
Pour conclure cette partie, je veux souligner pour le lecteur que Dietrich ne prétend pas simplement que la théorie de Mealy a une valeur heuristique pour comprendre la relation entre le cerveau et l’appareil psychique. Il va plus loin et affirme que le cerveau doit nécessairement être compris grâce à la théorie de Mealy, puisque tout système de traitement de l’information doit être compris de cette manière. Et il se trouve simplement que la métapsychologie de Freud est la seule théorie psychologique qui réponde aux critères qui satisfont à la description fonctionnelle dictés par la théorie de Mealy (Dietrich et al., 2015, 20017). Par conséquent, je tiens à souligner que non seulement ma compréhension de la métapsychologie freudienne est en accord avec les déclarations de Freud, mais plus important encore, qu’elle est en accord avec les exigences de la science naturelle moderne. Je soutiens que du point de vue des sciences naturelles, il faut comprendre le cerveau comme un système de traitement de l’information, et que par conséquent, il est nécessaire d’appliquer les principes dictés par la théorie de Mealy afin de développer une description et une compréhension scientifiques. Croire que la relation entre l’appareil psychique et le cerveau peut être comprise d’une manière plus simple (par exemple, dire que des parties de l’appareil psychique correspondent exclusivement à des structures du cerveau) reviendrait à dire que notre cerveau est un système moins compliqué que les ordinateurs faits par l’homme, puisque chaque ordinateur doit correspondre à la théorie de Mealy, si l’on souhaite en donner une description fonctionnelle.
La relation entre la théorie de Mealy et le monisme à double aspect
Afin de répondre d’emblée à tout risque d’incompréhension et de critique qui pourraient surgir à propos de la théorie de Mealy, je dois affirmer ce qui suit : la théorie de Mealy (TM) (Mealy, 1955) et le monisme à double aspect (MDA) (Solms & Turnbull, 2002), ne sont pas deux théories mutuellement exclusives.
Contrairement au MDA, la TM ne s’occupe pas de la conscience. Alors qu’on pourrait y voir quelque chose qui diminuerait sa valeur pour décrire le cerveau, en fait la TM peut être appliquée à des systèmes de traitement de l’information non conscients aussi bien que conscients. La TM laisse complètement ouverte la question de savoir si les systèmes à décrire sont conscients ou non. Ainsi, en principe, la TM laisse de la place pour une approche qui traite de l’expérience subjective du système en question. Les deux seules exigences qu’elle fait sont que cette description doit être fonctionnelle, et que celle-ci doit décrire le système d’une manière complète. C’est précisément la raison pour laquelle Dietrich a pu utiliser la métapsychologie freudienne pour la tâche de décrire le système fonctionnel. Et la métapsychologie est précisément une théorie qui repose sur l’expérience subjective du système à décrire (Freud, 1923). Par conséquent, la TM peut effectivement rendre compte de la conscience, même si elle le fait indirectement.
A l’opposé de la TM, le MDA ne s’occupe pas de la relation entre l’appareil psychique et le cerveau. Il est concerné par la question de savoir comment nous devons développer une compréhension de nous-mêmes, étant donné le fait que nous nous éprouvons de deux manières différentes : en tant qu’esprit et en tant que corps. Il déclare qu’entre notre expérience de nous-mêmes en tant qu’esprit et en tant que cerveau, il existe une troisième entité : l’appareil psychique ; par ailleurs, il affirme que nous ne pouvons pas percevoir directement cet appareil psychique, ni depuis le corps ni depuis l’esprit, mais que nous devons l’inférer depuis nos deux sortes d’expériences. Par conséquent, le MDA fournit un cadre épistémique pour développer la compréhension de l’appareil psychique. Mais il laisse ouverte la question de savoir comment, spécifiquement, l’appareil psychique doit être relié au cerveau, et il déclare simplement qu’une telle relation existe.
Ainsi ces deux théories se complètent magnifiquement. La TM exige qu’on ait une description fonctionnelle qui soit indépendante de la description physique afin de décrire un système de traitement de l’information, mais elle n’explique pas comment nous pouvons développer la description de ce système fonctionnel. Le MDA, pour sa part, explique comment nous pouvons développer la description de l’appareil psychique (c’est-à-dire, un système fonctionnel), mais il n’explique pas comment nous pouvons le mettre en relation avec sa base physique. Ainsi, la TM et le MDA se complètent l’un l’autre parce que ces deux théories coïncident dans leur affirmation qu’il est nécessaire de décrire un système fonctionnel (c’est-à-dire, l’appareil psychique) pour résoudre le problème de la description et de la compréhension du cerveau, bien que ces deux théories partent de points de départ différents.
Critique du concept du ça conscient de Solms
Dans cette partie, je vais élaborer une critique de la thèse selon laquelle le ça est conscient (Solms, 2013a). Je vais commencer par décrire ce qui, dans l’argumentation de Solms, me paraît problématique et pourquoi, selon moi, son affirmation n’est pas suffisamment étayée. Enfin, je vais souligner les points que je considère valides dans son argumentation, et que toute interprétation métapsychologique qui prétendrait être une alternative valide à son argumentation serait dans l’obligation de traiter correctement.
Les problèmes que pose l’hypothèse implicite de Solms
Pour récapituler mon argumentation jusqu’ici, j’ai prétendu (voir « Les hypothèses explicites et implicites de Solms »), que pour conclure que le ça est conscient, Solms (2013a) doit se reposer sur l’hypothèse d’une relation exclusive entre les parties de l’appareil psychique et les structures anatomiques du cerveau. Cependant, cette hypothèse implicite n’est pas, comme je l’ai élaboré plus haut, requise par le monisme à double aspect (MDA). De manière peut-être encore plus importante, j’ai fini par conclure que cette hypothèse est en contradiction avec la compréhension par Freud de la relation qui existe entre l’appareil psychique et le cerveau. C’est un problème pour l’argumentation de Solms, puisqu’il défend un changement dans la théorie freudienne et qu’il doit par conséquent se plier aux définitions des concepts freudiens. Enfin, j’ai aussi montré que la position de Freud sur cette question, bien qu’elle puisse paraître contradictoire, est cohérente, étayée par un modèle mathématique bien reconnu et qui est utilisé pour traiter précisément le problème de la mise en relation d’un système fonctionnel avec l’entité physique dont celui-ci dépend.
Ensemble, tout cela montre que l’argument de Solms est au minimum remis en question. Et puisque Solms appelle à un changement dans les définitions fondamentales de la métapsychologie, nous ne devrions pas lui accorder le bénéfice du doute, puisque le poids de la preuve est dans le camp de celui qui réclame un changement fondamental dans les définitions (Russel, 1919). Au-delà des objections logiques et théoriques résumées jusqu’à présent, il existe un autre argument lié au contenu, selon lequel nous devrions tirer des conclusions différentes des données sur lesquelles Solms s’appuie, comme je vais le décrire maintenant.
Le problème lié au fait de faire une équivalence entre le corps externe et le moi
Solms défend l’idée que le moi devrait être identifié au corps externe, et pour cela il cite l’affirmation de Freud, lorsque celui-ci dit : « Si l’on cherche une analogie anatomique, le mieux est de l’identifier avec ‘l’homoncule cérébral’ des anatomistes » (Freud, 1923, p. 238). D’autres auteurs ont déjà critiqué cette approche de la conceptualisation de la base neuroanatomique du moi, ou du moins l’ont problématisée (Carhart-Harris, 2013 ; Kunstadt, 2013). Je vais maintenant exprimer pourquoi je pense aussi qu’elle est erronée.
Selon ma lecture, Solms traite cette citation comme si Freud décrivait un aspect qui définissait fondamentalement le moi. Mais si l’on prend en compte le contexte de son œuvre et les mots qu’il emploie, j’argumente que ce n’est très certainement pas le cas : Freud ne fait que donner une analogie anatomique. Comme Solms le déclare lui-même, nous devons nous reposer à la fois sur une perspective objective de la neuroscience et sur une perspective phénoménologique-subjective (Solms & Turnbull, 2002). Et il se trouve que l’appareil psychique a surtout été décrit depuis la perspective subjective. Par conséquent, si nous voulons obtenir une définition correcte du moi, nous devons prendre en considération les descriptions que Freud donne en rapport avec l’expérience subjective.
Sous cet aspect, nous devons nous souvenir que le moi ne se réfère pas seulement aux systèmes qui représentent la réalité externe à l’intérieur de la psyché, mais aussi au sujet conscient, ce que Carhart-Harris a déjà souligné (2013), surtout parce que le mot allemand « ich » a une longue tradition en philosophie et en science allemandes, s’agissant du terme conventionnel qui se réfère au sujet de l’épreuve de la conscience (Ritter & Gründer, 1976). C’est un aspect du mot « ich » qui se perd lorsqu’on le traduit par le mot ego, puisque « ego » est un terme abstrait qui n’a pas de référence directe à notre expérience phénoménologique. Pour un locuteur allemand, le mot « ich » se rapporte directement au sujet phénoménologique de la conscience[xi]. Et cet aspect est fondamental pour la compréhension du moi (« ego »). Ainsi, le terme métapsychologique « ich » non seulement comporte une structure qui est dans une grande mesure inconsciente (Freud, 1923), mais il veut habituellement dire aussi le self[xii], comme Lear (2005) l’a aussi souligné. La citation suivante de Freud suffira à valider l’affirmation selon laquelle le moi est relié de manière inhérente à la conscience :
Dans son activité le moi est guidé par la prise en considération des tensions provoquées par les excitations du dedans ou du dehors. Un accroissement de tension provoque généralement du déplaisir, sa diminution engendre du plaisir. Toutefois le déplaisir ou le plaisir ne dépendent probablement pas du degré absolu des tensions mais plutôt du rythme des variations de ces dernières. Le moi tend vers le plaisir et cherche à éviter le déplaisir. (Freud, 1940, p. 4-5)
Avec cette citation à l’esprit, l’affirmation de Solms selon laquelle « le sujet primaire de la conscience (le corps-en-tant-que-sujet) est le ça » (Solms, 2013a, p. 15) est complètement contradictoire, ou du moins pour n’importe quel lecteur allemand, pour qui cette affirmation reviendrait à dire que le ça est le moi. Par conséquent, la seule conclusion cohérente que l’on puisse tirer des faits énumérés par Solms et Panksepp (2012) est que le moi émane du tronc cérébral, conclusion que Panksepp (1999) avait d’ailleurs suggérée dès 1999. En outre, je veux insister sur le fait que cette conclusion est, comme la TM l’énonce clairement, cohérente avec l’hypothèse que le ça dépend du tronc cérébral. En d’autres termes, les lignes de preuves convergentes, en conjonction avec les définitions métapsychologiques de Freud, suggèrent fortement que le ça comme le moi ont tous les deux leur origine dans le tronc cérébral.
La citation de Freud ci-dessus fournit aussi une réponse à une question que Solms a soulevée : « Mais comment le ça peut-il est gouverné par le principe de plaisir s’il est inconscient en lui-même, s’il est dépourvu de conscience, si les sentiments de plaisir-déplaisir sont en fait générés dans le moi ? » (Solms, 2013a, p. 17). Freud n’a jamais prétendu que les sentiments de plaisir-déplaisir étaient générés dans le moi, il a simplement dit que le moi les enregistre et les suit. En outre, bien que le principe de plaisir soit intimement lié à la tendance consciente de tendre vers le plaisir, il n’est pas identique à celle-ci. « La seule chose que nous soyons autorisés à affirmer, c’est que le plaisir est en rapport avec la diminution, l’atténuation ou l’extinction des masses d’excitations accumulées dans l’appareil psychique, tandis que la peine va de pair avec l’augmentation, l’exaspération de ces excitations. (Freud, 1917b, p. 335)[8]. « [L]es processus Ics […] sont soumis au principe de plaisir ; leur destin ne dépend que de leur force et de leur conformité aux exigences de la régulation plaisir-déplaisir. » (Freud, 1915, p. 97-98). Donc, dire que le ça est gouverné par le principe de plaisir veut simplement dire que la ça tend à décharger l’investissement qui règne dans l’appareil psychique aussi vite que possible ; pour que cette logique puisse fonctionner, la conscience n’est pas nécessaire. On pourrait plutôt dire que la conscience est le résultat du déroulement de ce processus. Ceci néanmoins est cohérent avec le point de vue selon lequel le ça est inconscient et le moi conscient.
Points valides dans l’argumentation de Solms
Bien que je rejette l’hypothèse implicite, et donc la conclusion métapsychologique selon laquelle le ça est conscient, je suis néanmoins d’accord avec toutes les autres hypothèses de Solms. Pour éviter de donner l’impression que je rejette son argumentation en bloc, je vais souligner les affirmations que je considère correctes et importantes qu’il a faites (2013a).
Solms et Panksepp (Solms, 2013a ; Solms & Panksepp, 2012) ont montré de manière très convaincante qu’au moins la plupart des fonctions du ça dépendent du tronc cérébral et des structures sous-corticales, et que des fonctions impliquées dans la représentation de l’état du corps dépendent aussi de ces mêmes structures. De manière peut-être plus importante encore, ils ont réfuté avec succès l’idée selon laquelle la conscience émane du cortex. Je ne vois pas du tout comment il est possible de maintenir ce dernier point sans entrer dans des contradictions flagrantes avec les données. Et c’est une conclusion très importante puisque, comme Solms (Solms, 2013a) l’a bien dit, ce point contredit l’hypothèse fondamentale sur la conscience, sur laquelle Freud (1923) a développé le modèle topique. Je pense donc que Solms a tout à fait raison quand il déclare que le modèle topique de Freud a besoin d’une révision importante.
Révision du modèle topique de Freud
Après avoir présenté mes arguments contre la thèse de Solms du ça conscient, je vais maintenant élaborer une interprétation métapsychologique alternative des données neuroscientifiques collectées par Solms et Panksepp (2012). Ceci conduira à une proposition différente pour une révision du modèle topique de Freud. Je vais d’abord discuter le statut de la conscience dans la métapsychologie, puisque les données concernent avant tout la relation entre la conscience et le cerveau.
La difficulté de la conceptualisation de la conscience en métapsychologie
Le problème essentiel à propos de la conscience en métapsychologie est que Freud lui-même l’a conceptualisée de deux manières différentes au moins, sans jamais rendre ce changement explicite. Dans cette partie, ces deux conceptualisations seront passées en revue.
La première conceptualisation a été mise en avant dans L’interprétation du rêve (Freud, 1900a, [1899]). Elle a été formulée dans le paragraphe suivant :
[La]… conscience n’est plus qu’un organe des sens qui permet de percevoir les qualités psychiques. Notre conception fondamentale considère la perception de la conscience comme l’activité propre d’un système déterminé. Nous nous représentons ce système avec des caractères mécaniques analogues à ceux du système perceptif, c’est-à-dire qu’il peut être excité par des qualités et qu’il ne peut conserver la trace des modifications. Il est donc sans mémoire. L’appareil psychique, qui est tourné vers le monde extérieur par les organes des sens de son système perceptif, est lui-même monde extérieur pour l’organe des sens de la conscience, qui trouve d’ailleurs dans ce rapport sa justification téléologique[xiii]. Une fois de plus nous rencontrons ici le principe des instances successives, qui paraît régir la construction même de l’appareil. Les excitations affluent de deux côtés vers l’organe des sens de la conscience : elles proviennent d’une part du système perceptif, dont l’excitation déterminée par les qualités subit vraisemblablement un remaniement nouveau avant de devenir sensation consciente ; d’autre part de l’intérieur même de l’appareil, dont les processus quantitatifs sont ressentis qualitativement comme plaisir et déplaisir, après qu’ils ont subi certaines modifications. (Freud, 1900, [1899], p. 522-523)[xiv]
Ici, la conscience est identifiée au système Cs, et est comprise dans le sens d’une conscience purement phénoménologique. Ce système Cs contient les affects (particulièrement de la série plaisir-déplaisir) et c’est le système dans lequel les perceptions deviennent conscientes. Cependant, les perceptions sont l’output d’un autre système : le système perception (système Pc)[9]. Ce système est inconscient en lui-même et son output ne devient conscient que lorsqu’il pénètre le système Cs. Quelque chose qui devient conscient est par conséquent équivalent au contenu en question (que ce soit un affect ou un objet de perception) pénétrant dans le système Cs. Notez que cela permet à des perceptions inconscientes d’exister, puisque le système Pc est en lui-même inconscient. Les citations suivantes prouvent que Freud a maintenu cette position au moins jusqu’à 1915 :
L’importance accrue de la réalité extérieure augmente elle-même l’importance des organes des sens tournés vers ce monde extérieur et de la conscience qui y est attachée ; celle-ci apprend à saisir, au-delà des seules qualités de plaisir et déplaisir, jusqu’ici seules intéressantes, les qualités sensorielles. (Freud, 1911, p. 137)
Notez que, si à cette époque, Freud avait pensé que la conscience était intrinsèquement perceptive, il n’aurait pas considéré que les qualités de plaisir et de déplaisir fussent les premiers contenus de la conscience. Tout au contraire, il est évident qu’à ce moment, il considérait que la conscience était intrinsèquement affective. Les perceptions inconscientes étaient aussi supposées exister, comme la citation suivante le montre clairement :
Toutes les voies qui mènent de la perception à l’Ics demeurent normalement libres ; seules celles qui, partant de l’Ics, conduisent plus loin sont soumises à un barrage par le refoulement.
Il est très remarquable que l’Ics d’un homme peut réagir à l’Ics d’un autre homme en tournant le Cs. (Freud, 1915b, p. 107)
En 1917, Freud a commencé à changer sa conceptualisation de la conscience (Freud, 1917a), et enfin, dans Au-delà du principe de plaisir (Freud, 1920), il a développé sa deuxième conceptualisation de la conscience, qu’il a réaffirmée dans Le moi et le ça (Freud, 1923). Ainsi, en 1923, il ne défendait plus la thèse selon laquelle la conscience est un système en propre, mais il l’a conceptualisée comme une propriété inhérente au système Pc. En outre, les sentiments ont été conceptualisés comme devenant conscients en atteignant le système Pc.
Il reste donc exact que sensations et sentiments, eux aussi, ne deviennent conscients qu’en atteignant le système Pc ; si la transmission est bloquée, ils ne se réalisent pas sous forme de sensations, bien que l’autre-chose qui leur correspond demeure le même dans l’écoulement de l’excitation. (Freud, 1923, p. 234)
Ici, la conscience n’était plus considérée comme un système indépendant mais comme la propriété intrinsèque du système perceptif qui, hormis sa capacité de percevoir le monde extérieur, était aussi capable de percevoir les processus se déroulant à l’intérieur de l’appareil psychique. Puisque le système Pc était défini comme le système contenant – voire comme étant – la conscience, les perceptions inconscientes, ici, n’étaient plus supposées exister.
Ce changement dans la conceptualisation par Freud de la conscience, qui sera dorénavant appelé la théorie-perceptive (par opposition à la première théorie, que je vais nommer la théorie-consciente), est la conséquence métapsychologique de l’adaptation de la théorie corticale de la conscience (Freud, 1920, 1923)[xv], et il ne s’agit pas là d’une simple coïncidence : nous savons que Freud était au courant qu’au moins nos systèmes perceptifs visuel et auditif étaient principalement localisés dans le cortex (Freud, 1891). Supposer que la conscience est une propriété du système Pc exige de supposer que la conscience est localisée dans le cortex. Par conséquent, le changement opéré en direction de la deuxième conceptualisation de la conscience, qui sera dorénavant appelée la théorie-Pc (par opposition à la première, que j’appelle la théorie-Cs), est la conséquence métapsychologique de l’adoption de la théorie corticale de la conscience (Freud, 1920, 1923).
Je suppose qu’il devrait être évident qu’il faut rejeter la théorie-Pc, non seulement parce que la théorie corticale de la conscience est fausse (Solms, 2013a), mais aussi parce que la théorie-Pc ne permet pas aux perceptions inconscientes d’exister, alors qu’en fait elles existent bien (Kouider & Faivre, 2017 ; Meneguzzo, Tsakiris, Schioth, Stein & Brooks, 2014 ; Weiskrantz, 1996). Et donc, la conclusion importante qu’il faut tirer ici est que la conceptualisation de la conscience de Freud à partir de 1920 doit être remplacée par celle qu’il avait à partir de 1899. C’est une conclusion très importante, et bien qu’elle puisse sembler moins spectaculaire que la thèse du ça conscient, elle a néanmoins des conséquences profondes.
Révision de la structure fonctionnelle du moi
Freud (1923) a défini le système Pc-Cs comme le noyau du moi. Mais, alors qu’il le faisait tout en mettant en avant la théorie-Pc de la conscience (voir « Le problème lié au fait de faire une équivalence entre le corps externe et le moi »), la raison pour laquelle il l’a fait n’est absolument pas évidente. Il l’a peut-être fait parce que le système Pc est le système par lequel le monde externe est représenté ou, alternativement, parce que c’était le système considéré comme contenant la conscience. Par conséquent, si l’on sépare ces deux caractéristiques en deux systèmes, en revenant à la théorie-Cs, le problème qui surgit est celui de savoir où localiser le noyau du moi. Je vais tenter de trouver une solution à ce problème puis, en me fondant sur cette solution, je vais élaborer une révision, que je proposerais, du modèle topique.
Comme il a été dit précédemment (voir « Le problème que pose l’hypothèse implicite de Solms »), le terme original pour ‘moi’ (« ego » en anglais), (« ich ») est, en allemand, équivalent au sujet conscient (Lear, 2005 ; Ritter & Gründer, 1976). D’après cette définition, puisque le noyau du moi doit se trouver là où le sujet conscient émerge, le système Cs doit être le noyau du moi. Bien sûr, on pourrait affirmer alternativement que le système Pc doit être le noyau du moi, en se basant sur la définition de Freud (1923) du moi, où il énonce qu’il s’agit de la structure qui représente la réalité externe à l’intérieur de la psyché. Le problème se présente donc ainsi : Si l’on suit cette deuxième solution, on ne peut que conclure que le moi est inconscient en lui-même, ce qui conduit par nécessité à la thèse du ça conscient, que j’ai réfutée plus haut. Et si l’on suit la première solution, on est soudain confronté au problème que le moi n’est plus un système gouverné par le principe de réalité ni qu’il représente la réalité externe. Par conséquent, cela semble nous conduire au dilemme de devoir violer l’un des deux aspects centraux de la définition du moi. A ce point, la TM est d’une importance fondamentale, puisqu’elle montre qu’un système métapsychologique peut être distribué sur différentes parties du cerveau. Donc, choisir l’un des deux systèmes comme noyau veut simplement dire que le moi émane de ce dernier, mais ne veut pas dire que l’autre système ne contient pas aussi le moi. Donc, on peut considérer le système Cs comme le noyau du moi.
Cela soulève le problème qu’un moi émanant de ce que Solms (2013a) appelle le corps interne serait sous une telle influence du principe de plaisir qu’un psychanalyste pourrait avoir envie de demander si on peut encore le considérer comme un moi. La réponse en fait est oui, et cette sorte de moi primitif porte un nom dans la théorie freudienne : c’est le moi-plaisir (Freud, 1911, 1915a) : il s’agit d’une structure moïque primitive qui n’est capable que d’obéir à la série plaisir-déplaisir[xvi].
Au début du développement ontogénique, le moi n’est qu’un moi-plaisir, c’est-à-dire un système qui n’est capable que de rechercher le plaisir et d’éviter le déplaisir, sans pouvoir représenter la réalité (Freud, 1911, 1915a). Et puisque la série plaisir-déplaisir est le résultat de l’activité du ça (comme je l’ai dit plus haut, cette affirmation de Solms est correcte), à ce moment du développement ontogénique, le moi-plaisir est un serviteur sans défense des exigences du ça. Remarquez que le moi-plaisir est précisément « l’aspect le plus primitif de la structure du moi de Freud », dont Panksepp avait affirmé qu’il devait être localisé dans les structures cérébrales qui forment le système qu’il a appelé le SELF (« une forme de vie simple de type moi : « a Simple Ego-Type Life Form » : SELF) (Panksepp, 1999, p. 21)[xvii].
Par conséquent, la tâche qui apparaît alors est d’adapter le modèle topique de telle sorte qu’il puisse intégrer la théorie-Cs de la conscience. Réintroduire le concept du moi-plaisir et affirmer que le système Cs est le noyau du moi est la première étape nécessaire. Mais celle-ci conduit à la question de savoir comment il faudrait plutôt considérer la structure fonctionnelle du moi. Je vais commencer par répondre à cette question en citant la définition suivante du moi :
Dans l’apparition du moi et dans sa séparation d’avec le ça, un autre facteur que l’influence du système Pc semble encore avoir joué un rôle. Le corps propre, et avant tout sa surface, est un lieu dont peuvent provenir simultanément des perceptions externes et internes. Il est vu comme un objet étranger, mais en même temps il livre au toucher des sensations de deux sortes, dont l’une peut être assimilée à une perception interne. […] La douleur aussi semble jouer là un rôle et la manière dont on acquiert, dans des affections douloureuses, une nouvelle connaissance de ses organes est peut-être exemplaire de la manière dont, d’une façon générale, on arrive à se représenter son propre corps. (Freud, 1923, p. 238)
Pour comprendre correctement la structure fonctionnelle impliquée dans cette citation, il faut discuter le sens de certains des termes employés. Il faut noter que Freud a écrit ce passage en ayant à l’esprit la théorie-Pc. Comme je l’ai expliqué plus haut, dans la terminologie de la théorie-Pc, les sentiments et les émotions étaient conceptualisés en tant que « perceptions internes »[xviii] , alors que l’expression « perceptions externes » se référait à ce qui, dans la théorie-Cs, étaient simplement appelées des « perceptions », à savoir des contenus du système Pc. C’est un point important à noter, puisqu’on pourrait penser que Freud voulait dire que si l’on touche son propre corps, on pourrait avoir l’impression que l’on touche quelque chose et que l’on est touché en même temps. Mais cela n’est pas possible, puisqu’il dit que l’une des sensations pourrait être équivalente à une perception interne ; mais si on se touche soi-même on a nécessairement la perception de toucher et d’être touché. Par conséquent, j’argumenterais que la seule manière de traduire ce passage dans le langage de la théorie-Cs est la suivante : « Le corps propre d’une personne peut être l’endroit d’où les perceptions ainsi que les sentiments peuvent surgir. Au toucher il donne lieu à deux sortes de sensations : l’une peut être équivalente à un sentiment. » Et ce qu’il veut dire dans la terminologie de la théorie-Cs, c’est que nous éprouvons notre corps au travers du contenu du système-Pc, c’est-à-dire, des perceptions (qui comprennent les perceptions proprioceptives), et aussi au travers du contenu du système Cs, c’est-à-dire des sentiments (par exemple, la douleur ou le toucher affectif)[xix].
Vu cette interprétation des commentaires de Freud, il devient évident que lorsque Freud parle de la relation entre le moi et le corps (réel), il se réfère à la relation qui est médiatisée à la fois par le corps interne et par le corps externe. Ainsi, Freud ne veut pas dire que le moi ne se repose que sur la perception du corps en tant qu’objet (c’est-à-dire, le corps externe), il veut en fait dire que le moi repose sur le système fonctionnel lui-même, qui intègre les fonctions du corps interne et du corps externe en une seule entité fonctionnelle[xx]. Et puisque nous éprouvons notre corps comme une seule entité et pas comme deux entités (un objet de perception et un état affectif), un tel système fonctionnel – que je vais dorénavant appeler le corps fonctionnellement intégré (CFI, ou FIB : « Functionnally integrated body ») –, doit exister. Je crois que c’est ce CFI qui est un système nucléaire pour le moi et que c’est à cela que Freud se réfère, quand il dit que le moi est avant tout un moi corporel.
Pour éviter tout malentendu, je ne rejette pas l’idée qu’il y ait deux représentations différentes du corps sur la plan neuroanatomique (Solms, 2013a), comme des phénomènes tels que l’illusion de la main en caoutchouc (Botvinick et Cohen, 1998) l’illustrent. Pourtant, le fait qu’il soit nécessaire d’élaborer cet insight au moyen d’une investigation scientifique démontre que nous éprouvons notre corps dans notre expérience phénoménologique immédiate comme un seul système et non comme deux systèmes différents. Le phénomène de la main en caoutchouc témoigne de ce fait, puisque nous ne percevons pas une main en caoutchouc et la sensation de la caresse sur notre main, mais nous avons l’impression que c’est la main en caoutchouc qui a provoqué la sensation que notre main est caressée. Ce phénomène nécessite une intégration fonctionnelle entre les corps interne et le corps externe, et par conséquent un CFI.
Ici, il faut se souvenir que ce que Solms appelle le corps externe contient aussi les cartes motrices, ce qui signifie que le CFI n’est pas seulement un objet de perception, mais aussi un système fonctionnel pour l’action. Ceci est aussi en accord avec la définition suivante de Freud du moi :
Pour continuer donc, nous nous plaçons sur le terrain de la sagesse de tous les jours et reconnaissons dans l’homme une organisation psychique qui est intercalée entre ses excitations sensorielles et la perception de ses besoins corporels d’une part, et ses actes moteurs d’autre part, et qui leur sert d’intermédiaire dans un but bien défini. Nous appelons cette organisation son moi[xxi]. (Freud, 1926, p. 45)
La conclusion que je tire de ce passage, par conséquent, est que le moi est une structure dynamique dont les trois pôles sont dynamiques : le système Cs (« perception de ses besoins corporels » sous la forme d’affects), le système Pc (« excitations sensorielles »), et l’appareil moteur (actions ou « actes moteurs »). Les actions rétroagissent nécessairement au travers de la réalité externe et du corps propre sur les systèmes Pc et Cs (sur cette dernière par la médiation du ça). Il existe deux ensembles de rétroactions d’information sur le système Pc : la rétroaction d’information endogène, transportant de l’information à l’appareil psychique médiatisée par des changements survenus dans le corps, elle-même médiatisée par les neurones somatosensoriels qui perçoivent les changements à l’intérieur des muscles et de la peau ; et la rétroaction d’information externe concernant le monde externe, médiatisée par les neurones de tous ses organes sensoriels. La rétroaction d’information endogène permet la création d’ « indices de décharge » (Freud, 1895, p. 343) de l’appareil moteur, c’est-à-dire d’information concernant les effets que l’information effectuée par l’appareil moteur (autrement dit, en langage physique : les signaux partant de l’appareil moteur en direction du corps par les neurones efférents) ont sur le corps. Ces indices de décharge motrice peuvent ensuite être intégrés avec l’information qui est transportée de l’appareil moteur à l’intérieur de l’appareil psychique et qui signale qu’une décharge motrice a bien été initiée (à savoir, des copies d’efférence (Davidson & Wolpert, 2005 ; Schroll, Vitay & Hamker, 2012)), créant ainsi l’information que c’est l’action personnelle qui est la cause du mouvement du corps, c’est-à-dire le sentiment d’être agent. Cette intégration fonctionnelle peut ensuite être intégrée à l’information qui arrive par rétroaction d’information exogène, créant ainsi une représentation des effets des actions personnelles sur le monde entourant le corps propre. Les éléments d’information essentiels à l’intérieur de la rétroaction d’information exogène qui sont nécessaires pour intégrer les perceptions d’événements du monde externe avec les indices de décharge motrice sont les perceptions qui constituent les représentations du corps en tant qu’objet, qui à leur tour doivent être intégrées avec les indices de décharge motrice afin d’être identifiées en tant que telles. L’intégration fonctionnelle des indices de décharge motrice avec les représentations perceptives du corps en tant qu’objet constitue le corps externe. L’intégration des indices de décharge motrice[xxii] avec les affects et les sentiments (le corps interne) constitue la dernière intégration nécessaire pour constituer le CFI. Pour cette dernière intégration les neurones qui sont nécessaires pour le toucher affectif (McGlone & Reilly, 2010) sont fondamentaux, puisqu’ils délivrent un signal affectif qui coïncide parfaitement dans le temps avec les signaux provenant de la rétroaction d’information endogène[xxiii].
Pris ensemble, la structure fonctionnelle envisagée ici décrit le moi en tant que système, un système qui non seulement perçoit et réagit à des stimuli externes, mais qui perçoit et réagit aussi à ses propres actions. Dans une telle structure fonctionnelle, il n’y a pas vraiment de point de départ ni d’arrivée. Par conséquent, le moi existe à l’intérieur de cette structure fonctionnelle en boucle qui inclut nécessairement la réalité externe. Donc, dans la mesure où il dépend de cette structure fonctionnelle en boucle, le moi est littéralement construit sur la réalité externe, qu’il représente en conséquence à l’intérieur de l’appareil psychique (voir Figure 5). Cette partie du moi est ce que Freud a appelé le moi-réalité (Freud, 1911, 1915a) : elle était conceptualisée pour évoluer pendant l’ontogénèse et finalement dépasser fonctionnellement, et donc avoir des capacités supérieures à celles du moi-plaisir, qui restait le noyau du moi.
Figure 3. Le système « acoust. » désigne soit l’appareil langagier, soit le système acoustique, soit du moins la partie acoustique de l’appareil langagier (Freud, 1923, p. 236).
Figure 4. Le deuxième schéma du modèle topique (Freud, 1933, p. 108)
Un moi réalité dépend donc, hormis du moi-plaisir, de deux préconditions essentielles : d’abord, de l’intégration du système-Pc avec le système-Cs (c’est-à-dire de la création du système Pc-Cs), et deuxièmement, du CFI, qui lui dépend du développement des indices de décharge motrice de l’appareil moteur. D’où la conclusion que je tire : ce n’est que lorsque l’appareil moteur commence à se développer que le moi commence à avoir une relation active avec la réalité. Ainsi, le développement du moi-réalité commence avec le développement de l’appareil moteur. Avant ce moment, le moi n’existe que comme une entité totalement sans défense face aux exigences du ça et impuissante face à la réalité ; en tant que tel, il est à la merci de ses donneurs de soin primaires. Ce n’est que lorsque l’appareil moteur se développe que le moi commence à s’éprouver lui-même comme agent actif pouvant exercer un contrôle sur son corps, pouvant changer la réalité, et faire la différence entre le corps et le monde qui l’entoure.
Figure 5. Modèle de structure en boucle d’un moi mature (sans l’appareil linguistique). Région verte : le corps ; région rouge : le ça ; région violette : le moi-plaisir ; région vert d’eau : le moi-réalité ; R & région blanche : la réalité externe ; Pcpt : le système perceptif ; Cs : le système conscient ; Pcpt-Cs : la perception consciente ; FIB : le corps fonctionnellement intégré (CFI) ; mt Ap : l’appareil moteur. Remarque : Les lignes continuent représentent des processus physiques ; les lignes pointillées désignent des processus psychiques. Par conséquent, la région contenant des lignes pointillées représente la topique métapsychologique, alors que la région contenant les lignes continues représente un espace réel, quoique chacune de manière totalement schématique. Les lignes qui joignent la Pcpt au FIB et avec la Pcpt-Cs, respectivement, sont pointillées, mais d’une manière différente, afin de montrer qu’elles contiennent aussi les indices de décharge du mt. Ap. Une des directions de la flèche bidirectionnelle entre le FIB et le mt. A. représente les actions initiées, et l’autre direction représente les copies d’efférence. Veuillez noter que je ne modélise pas cette structure fonctionnelle à l’intérieur du ça dans ce schéma. La flèche à l’intérieur du ça indiquera simplement que le ça crée des affects et des sentiments à partir des pulsions. On suppose que le système Pcpt envoie des informations dans le ça et que le ça influence aussi le mt. Ap ; ces deux points sont représentés par le fait que le ça se trouve à la frontière de ces deux systèmes.
Cependant, ces capacités nucléaires n’épuisent pas les capacités qui reposent sur le développement de l’appareil moteur. Le développement des indices de décharge motrice permet quelque chose d’autre aussi : à savoir la création de mots. Concernant les mots, voici ce que Freud a affirmé dans le contexte de l’élaboration du modèle topique :
Les restes verbaux proviennent essentiellement de perceptions auditives, de sorte qu’ainsi il existerait pour le système Pcs une origine sensorielle particulière. Quant aux éléments visuels de la représentation de mot, on peut, en première analyse, les négliger comme secondaires, acquises par la lecture, et de même pour les images motrices du mot qui, sauf chez les sourds-muets, jouent le rôle de signes auxiliaires. Le mot est bien à proprement parler le reste mnésique du mot entendu. (Freud, 1923, p. 232)
Freud a affirmé cela en se basant sur l’hypothèse que le moi est depuis son origine une structure représentant la réalité, fonctionnellement basée sur le système Pc. Mais cette hypothèse n’est pas valide. Au contraire, le moi n’acquiert cette capacité qu’en créant la base pour une intégration fonctionnelle des courants d’information suivants et de leurs informations correspondantes : des perceptions exogènes (du monde entourant l’individu), des perceptions endogènes (du corps propre), des sentiments et des copies d’efférences des actions. Dès que ces courants d’information sont fonctionnellement intégrés, intégration dans laquelle des signaux dans les quatre courants d’information coïncident temporellement[10], un événement peut émerger. Dans un tel événement, un signal perceptif exogène et une perception endogène coïncident dans le temps avec une copie d’efférence d’une action motrice. Si cette coïncidence est consistante, c’est-à-dire si elle peut être reproduite, la cause pour les deux perceptions exogène et endogène est la même action motrice. Cette action motrice correspond à la copie d’efférence qui coïncide avec les signaux perceptifs et qui est causée par un besoin urgent perçu sous la forme d’un sentiment. Quand cela se produit pour la première fois, le moi s’éprouve lui-même comme faisant partie de la réalité externe de même que la réalité externe fait partie de lui. Cela signifie que pendant un bref moment le moi non seulement perçoit un stimulus externe et sa propre action, mais il perçoit aussi une action comme un stimulus exogène, c’est-à-dire, comme un bruit. En outre, puisque le signal acoustique atteint l’oreille d’une manière très consistante et fiable, la réalité externe est ramenée, d’une grande inconnue, source de friction à ses propres actions et cause de frustration à ses propres souhaits, à un simple élément de conduction servant un processus psychique. Dans la même action, le moi se perçoit comme faisant partie de la réalité externe, ainsi que comme ayant une influence directe sur cette dernière, et comme ayant la capacité de la transformer en un élément de conduction pour son propre fonctionnement. Plus correctement : de la transformer en un élément de traduction, puisque la réalité externe à strictement parler traduit un signal moteur en un signal acoustique. Et au moment où ce son produit est reconnu comme étant identique à l’un de ceux produits par les donneurs de soins, le moi s’éprouve comme étant aussi capable de faire quelque chose que ses donneurs de soins font, et il s’éprouve donc comme ayant existentiellement quelque chose de commun avec eux. Le son donnant naissance à cette expérience est ce que nous appelons un phonème.
Au moyen de l’orchestration temporelle des phonèmes, les premières syllabes, et enfin les mots sont créés. C’est probablement l’extension temporelle qui permet une association, au moyen d’une coïncidence temporelle avec des contenus psychiques différents. Puisque les mots ne sont pas simplement un signal perceptif mais un processus basé sur un court-circuit d’une structure en boucle, ils peuvent aussi être facilement associés à un événement psychique ayant lieu dans n’importe quel endroit au sein de la structure en boucle du moi. Cela inclut des pensées hautement abstraites, mais exclut tout processus prenant place dans le ça.
Puisque les mots, tout comme le moi, ne dépendent pas du système-Pc, mais de la structure en boucle, et qu’ils sont par conséquent un processus à l’intérieur de la structure en boucle, on pourrait être tenté de repousser l’affirmation de Freud selon laquelle « le mot est bien à proprement parler le reste mnésique du mot entendu » (Freud, 1923, p. 232)[11].
La question : comment quelque chose devient-il conscient ? s’énonce donc, de façon plus adéquate : comment quelque chose devient-il préconscient ? et la réponse serait : par connexion avec les représentations de mot correspondantes.
Ces représentations de mot sont des restes mnésiques, elles ont été autrefois perceptions et peuvent, comme tous les restes mnésiques, redevenir conscientes. Avant que nous ne traitions plus à fond de leur nature, il se fait jour en nous comme une nouvelle idée : ne peut devenir conscient que ce qui fut autrefois déjà perception cs, et ce qui, provenant de l’intérieur, sentiments exceptés, veut devenir conscient, doit tenter de se transposer en perceptions externes. Ceci est rendu possible par le moyen des traces mnésiques.
Les restes mnésiques, nous les concevons comme contenus dans des systèmes qui sont immédiatement contigus au système Pc-Cs, de sorte que leurs investissements peuvent se propager facilement à partir de l’intérieur, aux éléments de ce système. […] (Freud, 1923, p. 221-232).
Ce sur quoi Freud veut insister ici, c’est que la raison pour laquelle les mots peuvent permettre à des processus psychiques de devenir conscients, c’est parce qu’ils ont une trace perceptive (mnésique), qui peut être rendue consciente à nouveau comme toute autre trace perceptive (mnésique). Cette affirmation n’est pas réfutée en adoptant la structure circulaire des mots. Au contraire, on peut maintenant arranger correctement les aspects différents des mots et leur rôle fonctionnel. Comme élaboré ci-dessus, un mot, c’est-à-dire une présentation de mot, est constituée par l’orchestration temporelle de phonèmes et peut donc, du point de vue de l’émetteur, être considérée comme un programme moteur. Cependant, considérée du point de vue de l’écouteur, l’image sonore du mot n’est pas simplement une concaténation des images sonores des phonèmes, mais une image sonore en soi. On se souvient ici de l’affirmation d’Aristote selon laquelle « le tout est différent des parties ». Ceci est non seulement essentiellement, mais fonctionnellement vrai aussi. Pour la production du mot, les images sonores des phonèmes pourraient être pertinentes, mais pour le traitement linguistique et psychique ultérieur, l’image sonore du mot est fondamentale. Ainsi, la présentation de mot est à la fois le programme moteur qui fait advenir l’image sonore, ainsi que l’image sonore produite par ce programme et leur intégration fonctionnelle.
Par conséquent, les mots posent la base pour le développement de l’appareil linguistique. Et à mesure que celui-ci se développe, le moi commence à être un sujet du langage et du monde social du sens. Comment peut-on décrire fonctionnellement le monde social du sens ? Puisque le langage dépend des mots et que les mots dépendent de la structure en boucle fonctionnelle, l’appareil linguistique nécessite un moi-réalité, qui pour sa part est relié au corps externe. De même que le corps externe dépend de l’intégration fonctionnelle des indices de décharge motrice avec les représentations perceptives du corps, les mots en fin de compte dépendent de l’intégration fonctionnelle des indices de décharge motrice avec les représentations perceptives exogènes. La grande différence entre le corps externe et un mot est que le corps externe, quoiqu’il en soit, n’appartient qu’à soi-même et à personne d’autre, alors que le son d’un mot fait partie du monde exogène, c’est-à-dire qu’il est quelque chose au-dehors et en même temps partagé par tous les individus. Un mot par conséquent a le statut paradoxal d’être à la fois quelque chose d’interne à l’appareil psychique et en même temps externe, voire exogène à lui. Dans la mesure où c’est quelque chose d’externe à l’appareil psychique et d’exogène à son corps, c’est quelque chose qui peut être partagé avec tout le monde, du fait que c’est interne et exogène, c’est privé et public, ça appartient à tout le monde et à personne.
Pour conclure la révision de la structure fonctionnelle du moi : Gardant la structure en boucle à l’esprit, la question du noyau du moi paraît quelque peu sans objet, puisque cela n’a aucun sens de définir un noyau à l’intérieur d’une structure en boucle. Néanmoins, du point de vue économique de la métapsychologie, je propose qu’on peut toujours voir le système Cs comme le noyau, puisque c’est à ce niveau que les besoins, qui sont éprouvés en tant qu’affects, émergent pour le moi, et qu’ils alimentent ensuite son activité. Tout besoin éprouvé conduit alors à une action, qui ensuite, après un certain nombre d’itérations de la boucle fonctionnelle (dans le meilleur des cas), conduit finalement à une expérience de satisfaction, ou à l’insight que la satisfaction est impossible. Néanmoins, je suggère que, si l’on parle du point de vue topique de la métapsychologie, il n’existe pas vraiment de noyau du moi.
Les implications pour une exégèse de Freud
Dans cette partie, je souhaiterais traiter les questions intrigantes suivantes : Pourquoi Freud a-t-il changé sa conceptualisation métapsychologique de la conscience, qu’il avait pourtant défendue avec une grande conviction au moins entre 1899 et 1915 ? Pourquoi a-t-il changé sa conceptualisation du moi ?
Ce qui rend cette deuxième question si intrigante est le fait qu’il semblait considérer le concept de moi-plaisir psychologiquement utile au moins jusqu’en 1925, quand il l’a utilisé dans son essai La négation (Freud, 1925), et en ce qui concerne la psychanalyse appliquée, au moins jusqu’en 1930, quand il l’a utilisé tout en développant sa théorie culturelle dans Le malaise dans la culture (Freud, 1930)[xxiv]. Et l’affirmation, dans L’Abrégé de psychanalyse, que « le moi tend vers le plaisir et cherche à éviter le déplaisir » (Freud, 1940, p. 5) est en faveur de l’hypothèse qu’il continuait à le considérer psychologiquement utile jusqu’à sa mort. Ainsi, on ne peut pas rendre compte du changement en métapsychologie en arguant qu’il a cessé d’être pertinent pour sa réflexion psychologique. Tout au contraire, ce concept lui a importé aussi pour sa réflexion clinique. Et malgré cela la conception métapsychologique correspondante a complètement disparu de la métapsychologie. Pour mettre cette question en perspective, permettez-moi de mettre en avant que ces deux changements dans la théorie métapsychologique ont coïncidé dans le temps pour lui avec son abandon de son opposition à la théorie corticale de la conscience, et au contraire, avec son adoption de celle-ci.
Comme je l’ai élaboré plus haut, le changement dans la conception métapsychologique de la conscience, et sa position concernant la théorie corticale de la conscience sont inextricablement liés : la théorie-perceptive étant la conséquence métapsychologique de l’adoption de la théorie corticale de la conscience. En conséquence, j’ai discuté dans cet article que la conséquence métapsychologique de l’adoption à nouveaux frais de la théorie-Cs est qu’il faut différencier le moi en un moi-plaisir et un moi-réalité, ce qui en conséquence contraint à développer une structure en boucle fonctionnelle afin de l’intégrer dans le modèle topique. Au contraire, la théorie perceptive va main dans la main avec la conception du moi à un seul noyau, ce qui place le moi en tant que système qui représente la réalité externe de manière inhérente à l’intérieur de l’appareil psychique. Donc, bien qu’il semble que Freud ait fait deux changements conceptuels métapsychologiques et qu’il ait changé son opinion sur une question neurologique, ce qui s’est passé en fait, c’est que Freud a opéré un seul changement fondamental dans sa position scientifique. Comment peut-on comprendre ce changement ?
D’abord, il faut remarquer que si l’on rejette la théorie corticale de la conscience, il faut adopter la théorie-Cs à l’intérieur de la métapsychologie, ce qui a pour conséquence de devoir en tirer toutes les conséquences métapsychologiques, c’est-à-dire, comme je l’argumente, plus ou moins comme celles que j’ai développées[xxv]. Et il devrait aller de soi que le modèle de la structure en boucle fait plus de suppositions et est plus compliqué comparé au modèle de Freud de 1923. Mais dans ces années-là, en 1923, rejeter la théorie corticale de la conscience impliquait s’opposer à la théorie dominante en neurologie et adopter une théorie pour laquelle il n’existait aucune preuve biologique-neurologique. Donc, sans les preuves neuroscientifiques amassées par Solms et Panksepp (2012), le modèle de la structure en boucle serait, selon les standards du rasoir d’Occam, le modèle perdant contre la conception de Freud du noyau unique du modèle topique[xxvi].
Je parie donc que les choses se sont passées de la manière suivante : Je pense que Freud s’est aperçu que, s’il maintenait son opposition à la théorie corticale de la conscience, il serait forcé de développer un modèle qui apparaîtrait nécessairement comme une spéculation folle et que, pire encore, ce modèle reposerait sur une hypothèse qui était en contradiction avec les vues prévalentes en neurologie. Mais en adoptant ce qui était à cette époque l’opinion majoritaire en neurologie à propos de la conscience, il a été capable de développer un modèle qui était beaucoup plus facile à saisir. Lorsqu’il fait référence à « des propos plutôt vagues concernant un noyau du moi, formulations qui doivent maintenant être rectifiées… » (Freud, 1923, p. 240), cela témoigne du fait que le problème que je présente ici avait été effectivement une question qu’il avait débattue mais qu’il n’avait pas résolue de manière satisfaisante pour lui.
Freud a donc simplement fait ce que les principes fondamentaux de la science exigent de faire en cas de doute ou de manque d’arguments convaincants : choisir soit l’opinion majoritaire soit l’explication qui dépend du plus petit nombre d’hypothèses possibles. Si les deux coïncident, c’est ce qu’il faut faire. Ironiquement, Freud a développé un modèle faux, parce qu’il s’est trop reposé sur les principes de la science naturelle et a trop fortement suivi les vues des neurologues. Ceci, incidemment, est un argument fort en faveur de l’idée que la métapsychologie a été développée en tant que théorie qui intègre la psychanalyse avec les neurosciences, de même que le fait que Freud a considéré les preuves et les théories provenant de la neurologie pour le développement de ses propres théories, au moins jusqu’à 1920 au moins. Ce point de vue n’est pas nouveau et en fait résonne avec l’analyse exégétique de Solloway de la pensée de Freud et du développement de ses théories (Sulloway, 1979). On peut ne pas être d’accord avec ma conclusion, mais il faut alors expliquer pourquoi Freud a fait les changements conceptuels que j’ai discutés plus haut.
Les apparences physiques du moi et du ça
Après avoir clarifié la structure fonctionnelle du moi, je vais esquisser une proposition alternative de la manière dont celle-ci pourrait être mise en relation avec la recherche neuroscientifique, et par conséquent, de la manière dont on pourrait décrire les apparences physiques du moi et du ça. D’un point de vue essentialiste, tous les systèmes métapsychologiques consistent en structures et processus à l’intérieur du cerveau, d’où la possibilité d’au moins spéculer sur la manière dont ceux-ci apparaissent sous une forme physique, ce que je vais faire dans cette partie.
Ce que nous savons par expérience personnelle, c’est que le sujet conscient n’est pas stable et qu’il cesse d’exister chaque nuit pendant le sommeil sans rêve. Par conséquent, l’aspect physique du moi en tant que sujet (c’est-à-dire, l’expérience subjective la plus directe consistant à être) doit être un processus et ne peut pas être une structure anatomique, simplement parce que seuls les processus peuvent être allumés et éteints[xxvii]. Le processus en question émane de la région périaqueducale et d’autres structures qui constituent le corps interne (Solms, 2013a), ce qui est parallèle à l’affirmation que le système Cs, d’un point de vue économique, est le noyau du moi. Pour être clair : Le processus en question commence à faire partie du moi dès qu’il devient conscient. En outre, il émane du corps interne, c’est-à-dire qu’il n’y est pas exclusivement localisé et qu’il s’étend très probablement vers le haut dans des structures du néocortex.
Le moi-réalité (pour cette conception le moi-linguistique doit être compris comme faisant partie du moi-réalité) est stable et a la capacité d’évoluer. Il est donc constitué d’informations stockées et il doit par conséquent dépendre de structures anatomiques, qui peuvent être façonnées par l’expérience et qui peuvent stocker de l’information. Il doit donc dépendre de la plus grande partie du néocortex (et sans doute aussi du cervelet), où les nouvelles informations représentant la réalité sont stockées sous forme de connexions synaptiques, qui sont l’aspect physiologique du moi-réalité. Cependant, tous les processus neurologiques de ces tissus qui sont nécessaires pour le stockage de cette information, par exemple les processus de consolidation ou les processus qui entretiennent les connexions synaptiques, font aussi partie de l’apparence physique du moi-réalité.
Comment peut-on concevoir physiologiquement l’expérience phénoménologique que nous, en tant qu’être conscients, nous nous éprouvons nous-mêmes comme étant le système qui représente la réalité à l’intérieur de l’esprit (ce qu’on pourrait aussi dire de la manière suivante : le sujet de la conscience s’éprouve lui-même comme étant le système qui représente la réalité à l’intérieur de l’esprit) ? J’argumente qu’il faut envisager cela comme un processus, équivalent au moi-plaisir, qui parcourt les structures anatomiques qui contiennent le moi-réalité. En d’autres termes, il faut faire une différence entre le moi en tant que potentialité de travail (une entité qui consiste en traces mnésiques et qui repose de manière latente à l’intérieur de structures anatomiques) d’un côté, et le moi actif (un processus qui parcourt ces structures et qui actualise leur potentiel fonctionnel), de l’autre. Cela signifie que le processus, qui est le sujet de la conscience, devient le moi-réalité actualisé à ce point où il pénètre les structures qui constituent le moi-réalité, et ce faisant il réalise leur information stockée dans leurs synapses. De cette manière, le sujet conscient devient un agent qui agit et qui parle.
Les structures cérébrales qui sont nécessaires à la fois pour le système Pc et pour l’appareil moteur sont d’une importance fondamentale ici, puisqu’elles constituent deux points nodaux de la structure en boucle fonctionnelle du moi ; les structures cérébrales nécessaires pour l’appareil linguistique et pour les systèmes de pensée sont aussi d’une très grande importance. Mais énoncer une évidence risquerait d’égarer si l’on en concluait que ces structures seules contiennent le moi. Des processus ayant lieu dans ces structures cérébrales ont plus de chances de faire partie du moi, mais elles peuvent aussi faire partie du ça. Et il y a trois raisons pour qu’il en soit très probablement ainsi :
La première, c’est que le refoulement consiste, en plus de pulsions refoulées, en informations refoulées sur la réalité externe (Freud, 1905, 1915b, 1915c)[xxviii]. Puisqu’une information apprise à propos de la réalité externe doit dépendre du cortex (Panksepp, 1998), la partie du refoulé qui est constituée d’information sur le monde doit dépendre du cortex. « Mais le refoulé lui aussi se fond avec le ça, il n’est qu’une partie de celui-ci » (Freud, 1923, p. 236). Psychologiquement parlant, il faut même considérer que le refoulé fait partie du ça (Freud, 1939). La raison en est que le ça utilise le refoulé pour exercer son influence sur l’appareil moteur ainsi que sur d’autres systèmes. Par conséquent, certains processus qui appartiennent au ça doivent être médiatisés dans le cortex.
La deuxième raison est que le ça est à la fois capable de réagir aux perceptions et, de manière plus importante, d’influencer les actions de l’individu, comme cela arrive dans toutes sortes d’actes manqués qui peuvent aussi affecter notre discours (Freud, 1901). Les appareils moteur et linguistique ne sont donc pas des domaines régis par le moi seul mais des régions contestées.
La troisième raison est que le ça opère avec des présentations d’objet (1915b), il doit donc nécessairement être capable de plonger dans le cortex, puisque c’est là que les objets sont stockés (Solms, 2013a). La différence principale entre les processus correspondant au moi et ceux correspondant au ça est que les processus correspondant au ça ne sont pas conscients et n’obéissent pas au principe de réalité. Ils fonctionnent donc au moyen de l’exploitation de toutes les associations possibles et sans tester la conséquence éventuelle de l’action. Le ça, contrairement au moi, ne reconnaît aucune conséquence de ses propres actions ; le ça simplement « connaît » (c’est-à-dire qu’il est gouverné par la) nécessité d’agir. Cette logique est ce qu’on appelle le « processus primaire » : un processus qui n’a pour but que de décharger l’investissement aussi vite que possible (Freud, 1900a [1899], p. 111).
Bien que la conscience émane du corps interne, il ne faut pas oublier qu’il peut arriver que les fonctions du corps interne puissent fonctionner sans produire le moindre affect, et donc, pas de conscience non plus (voir pour une discussion de ce point, Bazan (2013)). Panksepp aussi n’a cessé de réaffirmer que « la plus grande partie des processus émotionnels, comme pour tous les autres processus psycho-comportementaux, se fait à un niveau inconscient » (Panksepp, 1998, p. 28). Donc, je conclus que le ça comprend les processus suivants : les processus à l’intérieur du corps qui ne fonctionnent pas consciemment, ainsi que les processus inconscients à l’intérieur du cortex qui sont déclenchés par les processus du ça provenant de l’intérieur du corps. La base la plus profonde du ça est constituée par les structures anatomiques du cerveau qui constituent la frontière entre le cerveau et des parties de l’organisme qui sont externes au cerveau. En d’autres termes : ce sont dans ces structures que, dans une chaîne causale d’événements à l’intérieur du corps, pour la première fois, un processus est appelé « processus neurologique ». Cela inclut aussi les glandes hormonales, puisque le courant sanguin fait partie de l’organisme mais ne fait pas partie du cerveau[xxix]. Ainsi le ça a son fondement profondément enraciné dans le tronc cérébral, à la frontière avec le reste du corps, et aussi dans les glandes hormonales comme celles situées à l’intérieur de l’hypothalamus ou de l’hypophyse. Les pulsions doivent être situées à cette frontière, en accord avec la définition de Freud (Freud, 1915a) ; les pulsions, sur le plan métapsychologique, ne sont pas produites par le ça mais ont leur origine en dehors de celui-ci[xxx]. Le ça est simplement la première des structures de l’appareil psychique qui travaille avec leur investissement (Freud, 1915a, 1933, 1923) et « qui trouvent dans le ça, sous des formes qui nous restent inconnues, un premier mode d’expression psychique » (Freud, 1940, p. 4). Les affects, quant à eux, sont à localiser à la frontière entre le ça et le moi, et sont des moyens par lesquels les effets des pulsions sont perçus par le moi (Freud, 1905, 1915a, 1915c). Le ça contient toutes les fonctions qui intègrent les informations atteignant la frontière viscérale du cerveau, et qui conduisent au déclenchement d’affects ainsi qu’aux actions pulsionnelles et aux actions qui suivent le processus primaire : le ça est donc le système situé entre les pulsions et les affects. Ainsi, d’un point de vue neuroanatomique, j’affirme que le moi et le ça diffèrent principalement selon la profondeur à laquelle ils sont enracinés dans le système nerveux, mais pas tellement selon la hauteur qu’ils atteignent.
Intégration de différentes théories venant des champs des neurosciences, de la psychanalyse et de la neuropsychanalyse
Ce concept du moi en tant que structure en boucle permet d’intégrer quelques explorations théoriques provenant des neurosciences. Je vais brièvement les énumérer dans cette partie.
D’abord, la structure en boucle est cohérente avec le principe de l’énergie libre de Friston (2010), contribuant une certaine spécificité à un système fonctionnel qui fait la part entre différents courants d’information, fournissant ainsi des détails fonctionnels à un modèle statistique général. Un exemple en est la théorie du CFI, qui explique comment les affects et les sentiments peuvent devenir des signaux indiquant la réussite des actions de l’individu. La douleur est de la plus grande importance ici, puisqu’elle signale un choc dangereux entre le corps et la réalité externe, et elle devient ainsi un signal nécessaire pour la création d’un modèle prédictif de la réalité externe. Enfin, le moi apprend, grâce à l’appareil moteur, comment manipuler le monde et, finalement, grâce à cette manipulation du corps, comment satisfaire le ça. En apprenant comment influencer le ça, le moi gagne un certain contrôle sur son propre noyau économique.
Dans sa critique du ça conscient, Tsakiris (2013) a déjà argumenté en faveur de la nécessité d’une conceptualisation d’un modèle génératif qui s’inspirerait à la fois des aspects interne et externe du corps. Tsakiris (2013) a basé cette argumentation sur plusieurs phénomènes dont on ne peut rendre compte que si l’on suppose une relation fonctionnelle bidirectionnelle entre le corps interne et le corps externe (par exemple, le fait que l’illusion de la main en caoutchouc conduit à un abaissement significatif de la température corporelle dans la main correspondante (Moseley et al., 2008)). Je comprends ses affirmations comme des arguments en faveur de la nécessité de supposer un CFI, qui permettrait une telle relation fonctionnelle bidirectionnelle.
Ma conceptualisation est cohérente aussi avec la critique de Gallese (2013) de la thèse de Solms. Gallese argumente que Solms minimise le rôle des systèmes moteurs corticaux dans plusieurs aspects de la conscience, tels que la possession du corps phénoménal et l’agentivité phénoménale (Gallese, 2007 ; Gallese & Sinigaglia, 2010, 2011). Les données empiriques citées par Gallese, montrant une corrélation entre les systèmes moteurs et d’autres phénomènes de sentiment de soi (selfhood) et d’agentivité sont cohérentes avec mon insistance sur le rôle pivot du système moteur au sein de la structure en boucle fonctionnelle du moi. Gallese se réfère aussi aux trois niveaux de sentiments de soi conceptualisés par Parnas (2000, 2003), qui s’apparient avec ce que j’ai appelé le moi-plaisir (uniquement basé sur le système Cs), le moi-réalité (en relation avec le monde physique-biologique à travers l’action), et le moi-linguistique (en relation avec le monde social à travers le langage). Ceci souligne aussi la nécessité de toujours concevoir le moi en tant que « je » (« ich »), c’est-à-dire à la fois comme sujet et comme un système fonctionnel, mis en route par ce sujet. La critique de Gallese illustre très bien, neuroscientifiquement, ce que la TM montre sur le plan mathématique : la futilité d’essayer de désigner une seule structure anatomique qui serait le centre d’une entité psychologique. C’est futile parce que les entités psychologiques doivent être comprises fonctionnellement et parce que les entités fonctionnelles n’existent que dans le réseau de nombreuses structures anatomiques différentes. Ce qui paraît être le noyau anatomique du système psychologique n’est finalement qu’un artefact lié à la méthode empirique employée.
Fotopoulou et Tsakiris (2017) soulignent aussi l’importance de l’action pour le développement du moi, en avançant la thèse selon laquelle, jusqu’à ce que le système moteur soit développé, le soi (qui d’un point de vue métapsychologique fait partie du moi) du bébé est non seulement fusionné avec le corps propre externe, mais aussi avec le corps perçu du donneur de soins primaire. D’après Fotopoulou et Tsakiris, cela s’explique par le fait que le corps propre devient investi en tant que tel grâce au toucher affectif par le biais du codage prédictif. La logique de ce phénomène est plus ou moins liée au fait que l’investissement de tout ce qui se présente revient au même que d’investir son propre corps, du moment que cette chose est perçue comme la cause d’un sentiment agréable. Puisque, avant que l’on ait un système moteur fonctionnel, il n’y a pas d’information permettant de discerner la main caressante de la partie du corps caressée : les deux étant perçues comme la cause du sentiment agréable. Mon modèle permet d’explorer plus loin le rôle du toucher affectif dans le développement du moi, grâce au rôle de la structure en boucle fonctionnelle. Mais comme je l’ai dit plus haut, nous devons faire attention de ne pas voir ce système comme un centre ou un noyau du moi (ou du « soi », non plus) puisque, comme je l’ai élaboré plus haut, ce système doit être compris comme une structure en boucle.
Enfin, j’argumente que le modèle du moi comme structure en boucle fonctionnelle jette une lumière sur la raison pour laquelle la destruction de la base anatomique des systèmes moteurs dans les deux hémisphères cérébraux conduit à des perturbations du moi (Kaplan-Solms & Solms, 2000) ; si n’importe quelle partie importante du CFI, ainsi que le noyau fonctionnel du moi-réalité, sont perturbés, les conséquences devraient être des perturbations profondes du moi. Selon la latéralisation du traumatisme cérébral, ces perturbations prennent différentes apparences, mais les données suggèrent que dans tous les cas, la structure du moi est profondément affectée. Pour donner un exemple frappant, je cite la description psychanalytique du tableau clinique que le patient Mr. L. a présentée au début de son traitement. Il avait souffert un traumatisme au « lobe pariétal gauche du cerveau, localisé surtout au niveau du gyrus supramarginal, mais s’étendant aussi vers l’avant pour inclure le cortex sensorimoteur » (Kaplan-Solms & Solms, 2000, p. 117).
M. L. était un homme dont le monde (du moins au début) était vraiment éclaté. Son « incapacité à penser » s’étendait bien au-delà de la simple incapacité à faire venir des pensées à la conscience […]. La première phase de son traitement s’est caractérisée, en apparence, par une quasi absence de quelque activité mentale (du moi) que ce soit. Il était dans un état stuporeux, qui ressemblait à un épais brouillard ; il était adynamique et léthargique, presque akinétique et quasi muet. Dans son cas, en résumé, il semblait que ce n’était pas seulement la conscience de la pensée mais, plutôt, le fait de penser même qui avait été atteint par le traumatisme cérébral. (Kaplan-Solms & Solms, 2000, p. 144)[12]
Notez que dans ce cas, les structures qui sont touchées sont des structures associées au mouvement, et qu’elles qualifient donc comme composantes de la base neurophysiologique de l’appareil moteur et par conséquent, sont des points nodaux probables de la structure en boucle du moi. La conséquence de la lésion était une perturbation sévère de l’activité du sujet conscient, ce qui illustre de façon tragique ma conceptualisation de la manière dont le sujet de la conscience doit être conçu en tant que processus qui s’étend dans le cortex et qui, ainsi, devient un sujet actif.
Conclusion
Pour conclure cet article, je replacerai ce que j’ai appelé « l’erreur de Solms » dans un contexte approprié, pour éviter de donner l’impression que j’essaie de dévaluer sa contribution.
Au contraire, je veux souligner que le but de cet article est finalement de renforcer la position de Solms. Solms a déclaré que son but scientifique est de favoriser une certaine manière de penser et de discuter ce qu’on pourrait appeler l’esprit (Kaplan-Solms & Solms, 2000 ; Solms & Turnbull, 2002). Son pari était que, depuis les origines, la psychanalyse et les neurosciences ont le potentiel de contribuer l’une à l’autre d’une manière unique. Par exemple, les discussions pour décider laquelle des deux conceptualisations métapsychologiques de la conscience est celle qui est correcte n’auraient jamais pu atteindre la moindre conclusion jusqu’à nos jours. Mais le fait que nous soyons capables aujourd’hui de trancher en nous basant sur des résultats neuroscientifiques empiriques a des conséquences importantes pour la psychanalyse. Ce qui est pour moi l’erreur de Solms est le fait qu’il a basé son hypothèse exclusivement sur la conceptualisation de Freud de 1923 de la conscience, comme si celle-ci avait été la seule qu’il n’eût jamais développée, et en conséquence, Solms (2013a) a conclu que le ça est conscient. Mais on peut accorder au crédit de Solms qu’il a très correctement senti que les données récoltées sur la conscience soulevaient un problème pour la métapsychologie, et par conséquent pour la psychanalyse. On doit reconnaître que plutôt que d’expliquer le problème et de s’en débarrasser, il en a courageusement fait part à la communauté psychanalytique. J’espère sincèrement qu’après que j’ai formulé une antithèse métapsychologique à l’interprétation de Solms, une discussion fructueuse puisse en émerger, et c’est ce que l’importance de sa découverte exige.
[1] Trad. Mark Solms (2019). Le ça conscient. Journal de la psychanalyse de l’enfant, 2019/2, Vol. 19, p. 125-163.
[2] « Le ‘ça’ en sait plus que le ‘moi’ ne veut bien l’admettre : Perspectives d’un point de vue de la neuropsychanalyse et de la conscience primaire sur l’interface entre les neurosciences cognitives et affectives ». (Ma traduction, MR)
[3] Freud (1923). Le moi et le ça, Paris, Payot (PBP), 1981, 231-275.
[4] « the internal aspect of consciousness ‘feels like’ something » (ma traduction, MR)
[5] « I feel like this about that” (idem)
[6] « The part of the brain that performs the functions which Freud attributed to the id – that is to say, the part of the brain that generates drives and instincts, and functions according to the pleasure principle – is conscious. […] The ego – or the part of the brain that performs the functions which Freud attributed to the ego – is intrinsically unconscious; its functions only become conscious when they are activated by the id.” (ma traduction, MR).
[7] Ici, l’auteur de l’article a oublié de mettre le numéro de la page dans le Projet, et j’ai traduit cette expression moi-même (MR).
[8] « [P]leasure is in some way connected with the diminution, reduction or extinction of the amounts of stimulus prevailing in the mental apparatus, and […] similarly, unpleasure is connected with their increase” (Freud, 1917b, SE, p. 356. Les italiques n’existent pas dans la version française, MR).
[9] “[…] In accordance with the ideas underlying our attempt at a schematic picture, we can only regard conscious perceptions the function proper to a particular system; and for this the abbreviation Cs. seems appropriate. In its mechanical properties we regard this system as resembling the perceptual systems Pcpt. […]” (Freud, 1900 [1899], SE, 615-616).
[10] Je définis la coïncidence temporelle comme une coïncidence dans un intervalle de temps de 75 ms.
[11] « In essence a word is after all the mnenic residue of a word that has been heard » (Freud, 1923, SE, p 21). Je donne ici la traduction de Strachey dans la Standard Edition, puisque toute la discussion qui va suivre par l’auteur va s’appuyer sur cette traduction en anglais (qui diffère de la traduction en français). (M. Robert)
[12] Ma traduction (ainsi que dans le paragraphe qui précède), Marianne Robert
Notes
[i] Pour empêcher tout malentendu : la description verbale concrète, qui articule ou décrit ce « quelque chose comme » est bien sûr un produit du cortex, mais ce qui est décrit est un produit du corps interne.
[ii] Nota bene : Par instincts je veux dire ce que les biologistes appellent « instincts » et ce qu’en allemand on appelle « instinkte ». Je ne veux pas dire « Triebe » (c.-à-d. ce que les psychanalystes appellent généralement « instincts ») et que j’appelle « drives » (pulsions).
[iii] Strachey traduit « Sprachgebiet » par « speech-area » (« zone de langage », dans la SE), mais c’est une traduction trop étroite puisque Sprachgebiet comprend toutes les fonctions linguistiques.
[iv] A parler strictement, les pulsions ne sont pas générées par le ça mais par le corps somatique, le ça est simplement le premier système qui travaille avec elles (Freud, 1915a, 1923, 1933). J’élaborerai ce point plus loin (voir « Les apparences physiques du moi et du ça »).
[v] Nota bene : J’utilise le terme « fonctionnel » dans son sens mathématique, pas comme synonyme de « viable » ni dans le sens de ce qu’est sa valeur adaptative.
[vi] En exécutant ces processus fonctionnels, leur valeur adaptative est finalement une orientation consciente dans le monde, mais cela n’est précisément pas indiqué dans une description fonctionnelle.
[vii] En satisfaisant, et par conséquent en calmant ce désir, sa valeur adaptative est finalement de préserver le sommeil, mais ceci n’est précisément pas indiqué dans une description fonctionnelle.
[viii] Veuillez noter que cette phrase contredit l’affirmation répétée de Solms selon laquelle Freud n’a jamais remis en question la théorie corticocentrique de la conscience (Kaplan-Solms & Solms, 2000 ; Smith & Solms, 2018 ; Solms, 2013a, 2013b ; Solms & Panksepp, 2012). Je vais revenir sur ce point plus loin (voir « Le problème que pose l’hypothèse implicite de Solms » et « Le problème lié au fait de faire une équivalence entre le corps externe et le moi »).
[ix] Pour éviter que l’on pense que je retiens délibérément une information importante ici, je vais brièvement traiter le passage suivant : l’affirmation de Freud que le moi « porte à gauche la zone du langage » (Freud, 1923, p. 238), et qu’il a accompagnée d’un dessin où l’appareil linguistique est sur le côté gauche (Figure 3). Celle-ci serait en faveur de la thèse selon laquelle Freud aurait effectivement identifié l’espace anatomique avec l’espace psychique de l’appareil mental. Mon interprétation est radicale : Freud s’est trompé ici, ce que j’argumente pour plusieurs raisons. Premièrement, toutes les autres affirmations qu’il a faites sur cette question, aussi bien avant qu’après 1923, montrent une vision qui est en contradiction avec cette affirmation ; supposer une erreur permet de faire un minimum d’hypothèses. Deuxièmement, si Freud avait vraiment cru que l’espace métapsychologique pouvait être cartographié sur l’espace anatomique, il aurait le plus probablement ajouté beaucoup plus de détails anatomiques à son dessin : il en connaissait bien davantage sur les fonctions des régions du cerveau que cela (Kaplan-Solms & Solms, 2000). Troisièmement, Freud n’a pas inclus cette information dans le deuxième dessin qu’il a fait de l’appareil psychique (Figure 4). Si le but de la description topique de la métapsychologie avait été de donner des détails anatomiques, ç’aurait été une information fondamentale qui aurait dû s’y trouver. Je pense plus probable qu’il a pris conscience de son erreur et qu’il ne l’a tout simplement pas mentionnée, ne voulant pas être trop explicite à propos de ses propres erreurs. J’imagine que la raison pour laquelle, en fait, il a fait un deuxième dessin, bien qu’il n’ait jamais beaucoup aimé dessiner, était très probablement parce que son but était de réparer l’erreur qu’il avait faite dans le premier dessin.
[x] Comme le lecteur peut s’en rendre compte, dans le cas des ordinateurs, nous avons un terme pour désigner l’aspect physique, le « hardware », et un autre pour désigner l’aspect fonctionnel, le « software », et nous avons aussi un terme parapluie pour désigner l’ensemble des deux : « ordinateur ». Dans le cas du cerveau et de l’esprit, un tel terme parapluie fait défaut.
[xi] La décision de Strachey de traduire « ich » par « ego » s’explique probablement par le fait que les traducteurs de la philosophie allemande avaient traditionnellement traduit « ich par « ego » (Beiser, 2009). Ainsi, la décision de Strachey de prendre le terme abstrait « ego », qui ne se réfère pas à l’expérience subjective comme le fait le mot « je » (« I » en anglais), ne témoigne pas d’une faute de sa part mais d’un problème du style académique anglais, et donc des traductions des textes allemands dans leur ensemble (pour une discussion élaborée de ce problème voir Solms (1999)).
[xii] Kessler (2013a) a correctement senti que la question du sujet phénoménologique de la conscience est au cœur de ce qui devait être examiné dans l’argumentation de Solms. Cependant, si je l’ai bien comprise, elle a défendu l’idée d’introduire le concept de self en tant que nouvelle structure métapsychologique. Selon moi, cela n’est pas nécessaire puisque le concept psychologique du self (Kohut, 1971) fait, métapsychologiquement parlant, partie du moi. La limitation principale de son argumentation est qu’elle a accepté l’hypothèse de la relation exclusive entre des parties de l’appareil psychique et des parties du cerveau.
[xiii] « Justification téléologique » signifie, comme je le comprends, que la conscience n’est pas seulement un épiphénomène mais que dans sa forme très subjective, elle joue un rôle fonctionnel dans le cerveau.
[xiv] Veuillez noter que ce passage avait déjà été inclus dans la première version de L’Interprétation du rêve (Freud, 1900b, [1899], p. 471-472).
[xv] Ceci soulève bien sûr la question de savoir pourquoi Freud a adapté la théorie corticale de la conscience alors qu’il l’avait rejetée si vigoureusement cinq années auparavant seulement (Freud, 1915b). Je reviendrai sur cette question dans la partie « Les conséquences pour l’exégèse de Freud ».
[xvi] Remarquez que le fait même que le moi-plaisir, étant donné son organisation fonctionnelle, ressemble probablement pour la plupart des lecteurs au ça, prouve précisément que le terme « moi » se réfère au sujet conscient. Si le terme « moi » se référait exclusivement à un système qui obéissait au principe de réalité représentant la réalité externe, le concept de moi-plaisir serait auto-contradictoire et Freud ne l’aurait jamais inventé.
[xvii] « Nous pouvons maintenant envisager que le moi émerge de régions plutôt primitives du cerveau, où des systèmes émotionnels fondamentaux interagissent avec des représentations neurologiques fondamentales du corps. […] J’ai proposé que cette entité hypothétique est enracinée à l’intérieur de régions centromédianes situées dans des régions du tronc cérébral, comme la région périaqueducale (PAG) et les régions colliculaires et tegmentaires environnantes, mais son influence s’étend largement dans le cerveau au moyen de diverses influences directes et indirectes, telles que les fortes connexions bidirectionnelles avec les régions exécutives frontales et des influences étendues au niveau des cortex sensoriels à travers les systèmes réticulaires d’activation thalamique étendus (ERTAS) conceptualisés par Newman et Baars » (Panksepp, 1999, p. 21, ma traduction, MR).
[xviii] « Au départ, sont cs toutes les perceptions qui viennent de l’extérieur (perceptions sensorielles) et, de l’intérieur, ce que nous nommons sensations et sentiments. (Freud, 1923, p. 230-231)
[xix] Freud n’a pas parlé de toucher agréable ou de touche affectif dans ce contexte, et n’a certainement jamais utilisé cette expression ; au contraire, son exemple est la douleur. Pourtant, il me semble assez évident que le concept de toucher affectif (Crucianelli, Metcalf, Fotopoulou & Jenkinson, 2013) correspond parfaitement à ce à quoi Freud se réfère, puisque ses effets psychologiques sont cohérents avec sa conceptualisation.
[xx] La raison pour laquelle Freud a dit « si l’on cherche une analogie anatomique [au moi], le mieux est de l’identifier avec ‘l’homoncule cérébral’ » (Freud, 1923, p. 238), était simplement parce qu’il ne savait rien sur le corps interne et que le plus probablement, puisqu’il défendait la théorie corticale de la conscience, il pensait à cette époque que les sensations corporelles prenaient leur source à cet endroit.
[xxi] En anglais : « We call this organization their « ich » [“ego”; literally, “I”].” (Freud, 1926, SE, p. 194-195). Cette Remarque entre crochets prouve que Strachey était très conscient du problème que le terme “ego” ne capture pas l’aspect phénoménologique du terme « ich ».
[xxii] Veuillez noter que la création d’indices de décharge motrice présuppose l’intégration des copies d’efférence avec les perceptions endogènes correspondant à l’acte en question. La raison en est que les copies d’efférence qualifient les perceptions endogènes en tant que résultat de l’activité de l’appareil moteur, par opposition aux perceptions endogènes qui surviennent pour d’autres raisons pouvant être endogènes (par exemple, par des processus de digestion, ou les battements cardiaques), ou exogènes (les actes d’autres individus), ou qui ne sont pas sous l’influence de l’appareil moteur (par exemple les érections ou le hoquet).
[xxiii] Le lecteur bien informé s’est peut-être rendu compte que Bazan a affirmé avec force lors du dernier congrès de la Société internationale de neuropsychanalyse (Flores Mosri, 2018) que les indices de décharge sont d’une importance fondamentale pour comprendre le processus du refoulement et le modèle métapsychologique de Freud dans son ensemble. D’ailleurs, sa présentation m’a inspiré pour étudier les indices de décharge, lorsque j’ai développé le modèle de la structure en boucle du moi. Cependant, il existe une différence entre sa vision et la mienne. Elle prétend que ce que Freud appelle indices de décharge de l’appareil moteur sont équivalents à ce que la psychologie cognitive conceptualise comme copies d’efférence (Bazan, 2007). Pour ma part, je ne peux pas confirmer ce point de vue, puisque dans tous les cas où Freud parle d’indices de décharge de l’appareil moteur, il se réfère nettement à des perceptions qui proviennent de ce que j’appelle la rétroaction d’informations endogènes. Néanmoins, je suis d’accord avec Bazan qu’ils peuvent être intégrés dans le modèle métapsychologique de l’appareil psychique, ce que j’ai fait ici.
[xxiv] Dans les textes psychologiques ainsi que dans ceux qui sont à mettre au compte de la psychanalyse appliquée, la terminologie n’est pas aussi stricte que dans la métapsychologie. Par conséquent, son usage du terme, dans ces textes, ne veut pas dire qu’il pensait encore que le concept de moi-plaisir désignait une entité métapsychologique. S’il l’avait pensé, il aurait au moins mentionné ce concept dans Le moi et le ça, ou dans L’abrégé de psychanalyse, ses deux derniers écrits métapsychologiques majeurs.
[xxv] Bien sûr, en supposant que l’on ne considère pas un retour à la première topique une option sérieuse, ce que je ne fais pas. Après tout, le modèle topique et la théorie de Mealy ont une convergence conceptuelle (Dietrich et al., 2014), ce qui est un argument fort pour la validité du modèle topique. En outre, Freud a sûrement eu des raisons pressantes pour avancer vers le modèle topique, ce qui a de toute évidence mis de côté tous les autres problèmes concernant la conceptualisation de la conscience. Par conséquent, un rejet de la conceptualisation de conscience, sur laquelle le modèle topique est construit, ne peut pas être un argument suffisant pour rejeter le modèle topique dans son ensemble.
[xxvi] Je pense aussi que le modèle de la structure en boucle fait qu’il est possible de dériver des conceptions métapsychologiques à partir de différentes théories psychologiques à l’intérieur de la psychanalyse, qui ont été développées après la mort de Freud. Mais ici, je veux comprendre la raison de la décision de Freud, donc je ne développerai pas ce point dans cet article.
[xxvii] Pour éviter tout malentendu : Je ne veux pas dire qu’on ne peut pas trouver une structure anatomique d’où ce processus émanerait ou par lequel il existerait. Je dis que l’apparence physique (c.-à-d. ce qu’il est au sens d’une apparence objective et donc mesurable), ou que cette entité physique surpasserait (Davidson, 2001, [1970]) doit elle-même être un processus.
[xxviii] Refoulé veut dire que c’est inaccessible au moi, pas que c’est oublié (c.-à-d. effacé).
[xxix] En fait, je suis d’accord d’inclure aussi au moins la moelle épinière et de prendre en considération le système nerveux entérique comme une sorte d’ « organe sensoriel » du ça. Mail il s’agit là d’une discussion qui irait bien au-delà de l’étendue de cet article.
[xxx] « La perception joue pour le moi le rôle qui, dans le ça, échoit à la pulsion. » (Freud, 1923, p. 237)
Déclaration de liens d’intérêts
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.
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